De notre correspondante
L A leucémie myéloïde chronique (LMC), on le sait, passe par trois phases distinctes :
- la phase chronique, au cours de laquelle il existe une expansion clonale massive des cellules myéloïdes ;
- la phase accélérée ;
- puis la crise blastique, durant laquelle le clone leucémique perd progressivement sa capacité de se différencier.
Jusqu'ici, le meilleur traitement était l'interféron alpha (avec ou sans cytarabine) qui prolonge la survie aux dépens d'une toxicité importante. La greffe de moelle osseuse allogénique peut être proposée aux quelques patients relativement jeunes qui ont un donneur HLA compatible. Elle est associée à une certaine morbi-mortalité mais reste la seule approche curative. Cela pourrait changer avec l'avènement du Glivec (STI571), une molécule développée grâce à la découverte de l'anomalie moléculaire spécifique de la LMC.
La protéine BCR-ABL
Il a été établi que l'unique cause de la phase chronique de la LMC est la protéine BCR-ABL à l'activité tyrosine-kinase incessante. Cette protéine, codée par le gène de fusion bcr-abl sur le chromosome Ph (chr 22q-), est en effet observée dans les cellules leucémiques de presque tous les patients atteints de LMC. D'ailleurs, l'insertion du gène bcr-abl dans les cellules souches de la souris induit une maladie leucémique.
Le STI571 (pour Signal Transduction Inhibitor) inhibe l'activité de la tyrosine-kinase BCR-ABL. Il inhibe aussi les activités tyrosine-kinase d'ABL, dont la fonction est inconnue, du c-kit et du PDGFR, mais a peu d'effet sur les autres tyrosine-kinases.
L'équipe du Dr Brian Drucker (Oregon Health Sciences University, Portland), qui a développé le Glivec, en collaboration avec Novartis, décrit dans le « NEJM » les résultats préliminaires de deux études de phase I du STI571.
La première, avec escalade des doses, a été débutée en 1998 chez 83 patients atteints d'une LMC réfractaire à l'interféron alpha. Les patients ont reçu successivement une des 14 doses allant de 25 mg à 1 000 mg/j. L'étude montre que les effets secondaires sont minimes (nausées, myalgies, œdème et diarrhée) et il n'a pas été identifié de dose maximale tolérée. Sur 54 patients traités avec une dose d'au moins 300 mg/j, 53 ont obtenu une normalisation du taux des globules blancs en moins de 4 semaines (réponse hématologique complète de 98 %) et 29 ont présenté une disparition du chromosome ph dans leurs cellules (réponse cytogénétique de 54 %, avec rémission cytogénétique complète chez 13 %). Ces résultats apportent la preuve finale du rôle essentiel de l'activité tyrosine-kinase BCR-ABL dans la LMC. Les auteurs préconisent une dose d'au moins 400 mg pour les futures études.
Des doses allant de 300 à 1 000 mg
L'autre étude pilote de Drucker et coll., avec escalade des doses, a été conduite chez 58 patients - 38 ayant une crise blastique myéloïde et 20 une crise blastique lymphoïde ou une LLA. On sait que 20 % des patients atteints de LLA présentent le chromosome ph. Ils ont reçu des doses de STI571 allant de 300 à 1 000 mg.
L'étude confirme la bonne tolérance du STI571, ainsi que son activité contre les leucémies aiguës caractérisées par la BCR-ABL. Le taux de réponse dans la crise blastique myéloïde est de 55 % et le taux de rémission complète est de 11 %. Sur les 12 patients qui ont eu une réponse complète ou quasi complète (32 %), 7 sont encore en rémission après un suivi de 3 mois à un an. Le taux de réponse dans la crise blastique lymphoïde ou dans la LLA est de 70 %, et le taux de réponse complète est de 20 %.
« Cette étude démontre clairement que, chez la majorité des patients avec une LMC en crise blastique ou une LLA avec chr Ph, le clone leucémique demeure dépendant pour sa survie, au moins partiellement, de la BCR-ABL », concluent les auteurs. « Toutefois, dans ces cas, il est probable que cet agent devra être combiné à d'autres thérapies pour obtenir le bénéfice maximal ». Dans un communiqué, le Dr Drucker précise que « la poursuite des études a vérifié ces résultats dans des groupes plus larges de patients et nous évaluons maintenant le Glivec associé à d'autres traitements pour les patients au stade avancé ayant rechuté lorsqu'ils étaient traités seulement par le Glivec ».
« Le STI571 a de nombreux avantages sur l'interféron alpha », soulignent dans un éditorial les Drs Goldman et Melo (Imperial College School of Medicine, London), « administration orale, réponse hématologique plus rapide et probablement plus fréquente, réponse cytogénétique plus élevée, et meilleure tolérance ». Toutefois, le suivi est encore court. Une comparaison prospective du STI571 et de l'interféron alpha est en cours, mais « le STI571 pourrait bien devenir le meilleur agent pour traiter la LMC », notent-ils.
« Comment conseiller aujourd'hui un patient avec une LMC ? », s'interrogent-ils. « Pour un patient relativement jeune, chez qui la cure reste le principal objectif, la greffe de cellules souches hématopoïétiques doit rester une option sérieuse jusqu'à ce qu'il devienne clair que le STI571 (ou sa combinaison avec d'autres agents) peut guérir une proportion élevée de patients. Si une cure est moins importante, en particulier si la mortalité liée à la greffe est estimée à plus de 15 à 20 %, alors, le traitement initial par le STI571 semble logique. »
Si tout se passe bien, Glivec devrait être mis sur le marché à l'automne.
«New England Journal of Medicine », 5 avril 2001, pp. 1031, 1038, 1084.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature