Pénétrance variable
L'hémochromatose est la maladie héréditaire la plus fréquemment rencontrée en Europe occidentale. Entre 0,2 et 0,8 % de la population française serait homozygote pour la mutation la plus courante à l'origine de l'hémochromatose qui se transmet sur le mode autosomique récessif. La prévalence de la maladie est plus faible, autour des 5 [228] en France. En effet, ces anomalies chromosomiques sont à pénétrance variable. Tous les sujets qui possèdent le génotype de l'affection n'en développent pas forcément le phénotype. Certaines co-affections (hépatite virale, alcoolisme) favorisent le développement de l'atteinte clinique.
Une présentation fruste
« L'expression clinique de l'hémochromatose est tardive », rappelle le Dr Jobard. Elle est précédée d'une longue phase asymptomatique au cours de laquelle des anomalies biologiques peuvent déjà se mettre en place. Ce sont donc ces perturbations biologiques qui doivent conduire à évoquer le diagnostic : une cytolyse, une cholestase, un diabète et, bien sûr, une anomalie du bilan martial. La cytolyse est généralement modérée. Le taux des transaminases est inférieur à deux fois la normale. La ferritinémie est augmentée : supérieure à 300 μg/l chez l'homme et 200 μg/l chez la femme. Généralement elle est plus élevée, dépassant 600 μg/l. Le coefficient de saturation est supérieur à 45 %, cette élévation précédant parfois l'hyperferritinémie. Elle signe la surcharge en fer. Si ce coefficient reste inférieur à 40 %, le diagnostic d'hémochromatose est improbable. Son dépistage génétique n'est alors pas justifié en première intention.
Des atteintes viscérales
Sur le plan clinique les premiers signes d'appel sont généraux : asthénie et arthralgies. Plus tard, l'examen clinique relève les stigmates des atteintes viscérales : mélanodermie, hépatomégalie dure, cardiomyopathie avec troubles du rythme ou insuffisance cardiaque, diabète lié aux lésions pancréatiques, arthropathies ou hypogonadisme. L'objectif est de dépister la maladie bien avant l'apparition de cette symptomatologie.
Une fois le diagnostic évoqué, sa confirmation passe par la détection d'une anomalie génétique responsable d'hémochromatose. Cette prescription nécessite l'accord du patient. Le laboratoire ne pourra pratiquer l'analyse que si le patient présente, non seulement l'ordonnance, mais aussi le formulaire de consentement éclairé signé.
De nouveaux génotypes identifiés
« Actuellement, précise le Dr Jobard, le génotype recherché est l'homozygotie pour la mutation C282Y du gène HFE porté par le chromosome 6. Il code pour la protéine HFE, qui est impliquée dans l'absorption du fer. Cette mutation est responsable de l'hémochromatose 1, de loin la plus fréquente. Il existe d'autres mutations possibles de ce gène : H63D ou S65C. Un sujet présentant un allèle C282Y et un allèle H63D ou S65C est dit hétérozygote composite. Il peut développer une surcharge en fer, généralement modérée. D'autres génotypes peuvent être en cause, non liés au gène HFE. Leur dépistage n'est disponible que dans le cadre de protocoles de recherche. L'absence d'homozygotie C282Y ou d'hétérozygotie composite chez un patient suspect d'hémochromatose doit faire reconsidérer les autres étiologies possibles d'une surcharge en fer. En cas de doute persistant, la ponction-biopsie hépatique est indiquée. Elle confirme la surcharge en fer et élimine les autres hépatopathies évocables (hépatite virale ou alcoolique, cirrhose).
Les descendants d'un patient hémochromatosique (HFE1) justifient un dépistage génétique de l'affection. Celui-ci ne doit théoriquement leur être proposé qu'à leur majorité. Il peut être judicieux de génotyper le conjoint du sujet atteint. Si le conjoint ne porte aucun allèle muté, le risque d'hémochromatose pour les futurs enfants est nul. Si le conjoint est hétérozygote, le risque est de un sur deux. Le dépistage postnatal reste alors nécessaire. Les frères et sœurs du patient bénéficieront aussi d'une recherche de la mutation C282Y. En revanche, chez les parents, l'exploration peut rester phénotypique : bilan clinique, martial et hépatocellulaire.
Le bilan vise à quantifier la surcharge en fer et dépister les éventuelles atteintes viscérales. La surcharge en fer est grossièrement reflétée par le taux de ferritine sanguin. L'IRM hépatique permet, grâce à des techniques particulières, de mieux quantifier le fer intrahépatique. Ce progrès de l'imagerie a permis de limiter le recours à la ponction-biopsie hépatique. Elle n'est plus réalisée qu'à titre pronostique. Elle recherche une cirrhose. Celle-ci impose le dépistage régulier du carcinome hépatocellulaire. Les sujets sans hépatomégalie dont le taux d'ASAT est normal et la ferritinémie inférieure à 1 000 μg/l ont un risque minime de cirrhose. Ils ne justifient pas d'une ponction hépatique. En présence d'un ou plusieurs de ces trois critères, le risque de cirrhose est de 50 %. Le recours à l'analyse histologique s'impose. Le dépistage des autres atteintes viscérales comporte essentiellement : une glycémie, un électrocardiogramme, une échographie cardiaque, des radiographies des articulations douloureuses.
Traiter par les saignées
L'éviction des aliments et boissons riches en fer doit être systématique. La consommation d'alcool en particulier doit être limitée. On peut recommander au patient de boire du thé à volonté. Cette boisson est connue pour diminuer l'absorption du fer. Cependant, toutes ces précautions restent peu efficaces pour diminuer la surcharge en fer. « Les saignées constituent aujourd'hui encore la pierre angulaire du traitement, insiste le Dr Jobard. Elles sont indiquées dès que le coefficient de saturation de la transferrine dépasse 50 % ou la ferritine 50 μg/l . » Une saignée correspond à la soustraction de 400 à 500 ml de sang. Elle est compensée par un apport oral ou intraveineux de volume équivalent au volume de sang retiré. Cette séance dure environ une demi-heure. Le rythme de saignée est d'une fois par semaine ou par quinzaine au début du traitement. Il s'agit théoriquement d'un traitement à vie, les séances pouvant être espacées secondairement. L'objectif est d'atteindre puis maintenir un CS inférieur à 50 % et une ferritinémie inférieure à 50 μg/l. Les progrès sont surveillés par un bilan martial mensuel.
> ANNE MOULIN
D'après un entretien avec le Dr Jobard, service d'hépatologie (Montbéliard).
Bibliographie
P. Brissot et coll., L'hémochromatose expression et diagnostic, « Hépato-gastro », vol. 6, n° 3.
Y. Deugnier, Diagnostic des surcharges hépatiques en fer en 2005, «Gastro-entérologie pratique », n° 163.
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