BIEN QUE LA PRATIQUE soit explicitement interdite par la loi*, la chaîne de télévision M6 s'est récemment fait pincer deux fois pour avoir inséré des publicités subliminales dans ses programmes. La première fois, c'était en décembre 2001. Un téléspectateur avait détecté plus de trente images subliminales d'un appareil photo jetable de marque aisément identifiable dans le programme « Pop Star ». La seconde fois, c'était en mai 2003, dans l'émission « Caméra Café ». L'image subliminale incriminée était celle du logo d'une marque de chewing-gum bien connue, insérée quatre soirs de suite dans le générique de l'émission.
Ces publicités clandestines ont-elles eu un impact sur les ventes d'appareils photo jetables ou de chewing-gums ? Les images subliminales permettent-elles de manipuler nos comportements et nos jugements à notre insu, de manière à nous conduire à acheter un produit que nous n'aurions pas acheté de notre propre chef, à voter pour un candidat pour lequel nous n'aurions pas voté en toute liberté ou à adopter des opinions que nous aurions naturellement rejetées ?
De l'avis des scientifiques, il est possible que l'utilisation d'images subliminales permette d'influencer le jugement d'un individu. Cependant, il n'est guère probable que cette technique puisse exercer une influence sur nos comportements, en particulier sur notre comportement de consommateur.
Les images subliminales correspondent à des stimuli visuels trop faibles du point de vue de l'énergie lumineuse ou bien exposés trop rapidement (moins de 50 ms) pour que nous puissions les percevoir de manière consciente. Cependant, notre cerveau les « voit » et traite certaines des informations qu'ils contiennent.
Un effet non spécifique.
L'existence de la perception subliminale a été démontrée par des approches cognitives de psychologie sociale et, plus récemment, par des approches neurobiologiques se fondant notamment sur la méthode d'imagerie cérébrale fonctionnelle. Depuis le début des années 1980, plusieurs équipes de recherche se sont, en outre, lancées dans l'étude de l'effet de la perception subliminale sur le comportement et la cognition humaine. En France, une des équipes les plus impliquées dans ce champ de recherche est celle d'Ahmed Channouf à l'université de Provence (Aix-en-Provence).
Channouf et coll. ont notamment évalué l'impact des publicités subliminales sur le comportement des consommateurs** : les chercheurs ont réparti une centaine de volontaires en trois groupes. Ceux du premier groupe ont été exposés à quinze images subliminales d'une bouteille de soda de marque reconnaissable, ceux du deuxième groupe à quinze images subliminales d'une bouteille de soda d'une autre marque facile à identifier, et ceux du troisième groupe à quinze images subliminales d'une table.
Dans les trois cas, les volontaires pensaient passer un test sur ordinateur. Les images subliminales étaient insérées à leur insu entre les écrans du test.
A la fin du prétendu test, les expérimentateurs ont proposé à boire aux volontaires des trois groupes.
Les participants qui avaient été exposés à des images subliminales de bouteilles de soda ont été plus nombreux à accepter une boisson que ceux du groupe « table ». Cependant, lorsque les volontaires des groupes « soda » ont choisi une boisson, leur choix n'était pas influencé par la marque de soda à laquelle ils venaient d'être exposés de manière subliminale. « L'exposition subliminale à des images de boisson augmente la probabilité de consommer une boisson sans orienter le comportement de consommation vers un produit donné », résume Ahmed Channouf. Donc, « l'effet de ce type d'images subliminales existe, mais il est non spécifique », conclut-il.
Une autre expérience du groupe a donné un résultat plus inquiétant : elle montre que des messages publicitaires présentés immédiatement après l'exposition subliminale à des visages de célébrité sont jugés plus crédibles que les mêmes messages présentés après l'exposition subliminale à des visages inconnus. En outre, l'insertion d'une image subliminale de visages inconnus gais semble augmenter la crédibilité d'un message. L'insertion d'un visage triste a l'effet inverse. Ces effets sont également observés lorsque les images de visages sont perçues par les volontaires (insertion d'images visibles), mais ils sont plus importants lorsque les visages sont montrés de manière subliminale.
De leur côté, Kunst-Wilson et Zajonc*** ont observé qu'une image subliminale peut induire une réaction de « préférence » : ces chercheurs ont exposé des volontaires à des images subliminales de formes géométriques irrégulières. Ils leur ont ensuite montré différentes paires de formes géométriques en leur demandant chaque fois quelle était leur forme préférée. Il est apparu que la préférence des volontaires allait dans 60 % des cas vers les formes qu'ils avaient déjà « vues » de manière subliminale. Là encore, une préexposition subliminale induit un effet plus fort qu'une préexposition visible.
Les messages subliminaux peuvent donc, dans certaines conditions, influencer notre capacité de jugement. Leur utilisation est par conséquent loin d'être anodine.
* Selon les termes de l'article 9 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié, la publicité clandestine est interdite. En application de l'article 10 dudit décret, « la publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales », entendues comme visant à atteindre le subconscient du téléspectateur par l'exposition très brève d'images.
** Ahmed Channouf. « les Images subliminales », 2000, éditions PUF.
*** Kunst-Wilson et Zajonc. « Science », 1980, vol. 207, p. 557.
La propagande subliminale
Les effets avérés des images subliminales sur les attitudes et différentes sortes de jugements sociaux n'ont pas échappé aux hommes politiques, ou plus vraisemblablement à leurs conseillers en communication : en France, le plus célèbre scandale lié à l'utilisation d'images subliminales à la télévision est certainement celui qui a impliqué le président François Mitterrand. Une imperceptible image du président avait été insérée dans le générique du journal télévisé d'Antenne 2 à l'automne 1987. Elle a été diffusée 2 949 fois jusqu'à son interdiction, en mai 1988. Aux Etats-Unis, un spot de la campagne électorale de 2000 de George Bush contenait une « insulte subliminale » dirigée contre le candidat Al Gore : le mot anglais « rats » ( « ordure ») apparaissait de manière subliminale, juste après un image du candidat démocrate. En 2004, en Roumanie, ce fut au tour d'Adrian Nastase, alors Premier ministre et candidat à la présidence de la République, d'avoir recours à l'insertion d'images subliminales le représentant dans la bande-annonce d'un programme de débat politique. Cette fois-ci, la stratégie ne s'est pas révélée payante, puisque c'est le candidat de l'opposition, Traian Basescu, qui a finalement été élu.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature