B IEN voter, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie, avant toute chose, ne pas tomber dans les pièges tendus par la politique politicienne et les combinazioni. Oui, de ce point de vue, et sans juger leurs choix partisans, les Français ont bien voté aux municipales.
Ils n'ont pas voulu du vedettariat incarné par quelques ministres ; ils ont rejeté les pactes, notamment à Lyon, qui ont transformé d'amères rivalités en amours de circonstance ; ils n'ont pas pris au sérieux, comme à Toulouse, des formations qui, certes, introduisaient un peu de fête dans l'austère univers électoral, mais n'apportaient aucune garantie de gestion, et se sont ensuite retournés contre les élus avec les réflexes violents des mauvais perdants ; ils ont récusé une fois pour toutes les querelles intestines et ont donc sanctionné la droite à Paris et la gauche à Strasbourg ; ils ont donné plus de voix aux Verts parce qu'ils estiment que les grands partis n'ont pas encore la préoccupation écologique ; ils ont affaibli l'extrême-droite qui, certes, garde quelques villes, mais n'apporte plus rien à l'électorat, après ses divisions, que la droite parlementaire ne puisse lui offrir ; ils ont exprimé leur lassitude du communisme et de sa version française, incarnée par la fausse bonhomie de Robert Hue ; et ils n'ont excommunié personne, en soulignant que le pays réel reste de droite, mais en accordant tout en même temps à la gauche deux magnifiques victoires à Paris et à Lyon.
Injustice
Certains ont crié à l'injustice : Jack Lang, à Blois, qui a perdu avec un écart minuscule de 34 voix. La gauche et les Motivé-e-s qui, à Toulouse, ont cru que l'union suffit à faire la force et ont bousculé et l'ancien maire, Dominique Baudis, et le nouveau, Philippe Douste-Blazy. Philippe Séguin qui, après avoir passé un an à discréditer Jean Tiberi, a enfin trouvé la raison de sa défaite, le « mode électoral inique » adopté pour Paris, Lyon et Marseille.
Mais une défaite est une défaite. L'électorat s'est montré éclectique, pas imprévisible. Il n'a pas voulu que Charles Millon soit réhabilité après son pacte avec le Front national pour la direction du conseil régional Rhône-Alpes ; il n'a pas admis que Jack Lang soit candidat à Paris pendant 48 heures et revienne ensuite dans sa bonne ville de Blois, comme on se contente d'un strapontin après avoir été évincé d'un fauteuil ; il n'a pas compris qu'Elisabeth Guigou, qui a tant à faire, et se laisse déborder par ses dossiers du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, ait cru bon de se présenter en Avignon. Ceux qui ont perdu pouvaient, le plus souvent, s'attendre à leur sort funeste. Rien ne leur est arrivé qui ne fût inscrit dans les faits, dans leur entêtement, dans leur comportement et dans les querelles qui ont empoisonné leur campagne.
La France profonde est à droite
Ces élections municipales représentent-elles, oui ou non, un test national ? Comment ne pas tenir compte du poids respectif des deux grands courants en dépit de ce qui les divise ? Le premier enseignement des municipales, c'est que le pays profond est à droite, que la droite dispose, au moins en province (et même à Paris), d'un noyau d'électeurs que rien ne fera passer dans l'autre camp, pas même la plus ridicule des guerres picrocholines. Les villes qui sont passées de gauche à droite sont infiniment plus nombreuses que celles qui ont fait le parcours inverse, grâce, probablement, au retour vers la droite parlementaire d'anciennes voix du Front national, grâce aussi à un affaiblissement considérable du Parti communiste, dont le signe avant-coureur avait été perçu aux élections européennes.
On ne peut pas dire pour autant que les Français se soient prononcés contre la gauche au pouvoir. Rien ne permet de l'affirmer : l'adhésion à la gestion de M. Jospin reste majoritaire, la réduction du chômage est très satisfaisante, la confiance des consommateurs ne diminue pas. Ce qui veut dire que « la vague bleue » n'emportera pas nécessairement les législatives ou la présidentielle. De ce point de vue, les municipales sont bel et bien restées un test local, avec même une intolérance à l'égard des gros calibres, ministres ou autres stars de la politique, qui se sont emparés, en quelque sorte, de la consultation.
Et puis, il faut tenir compte, dans tout scrutin, du rôle du personnage. On croit assez, à droite comme à gauche, à l'aspect « cosmétique » des élections, pour avoir envoyé Philippe Séguin à Paris et Elisabeth Guigou en Avignon. On y croit assez pour avoir abandonné Jean Tiberi prématurément et peut-être à tort. Mais le personnage capable de rayonner dans les médias, qui a déjà assumé des fonctions importantes, n'est pas nécessairement le meilleur stratège (MM. Séguin, Gayssot, Moscovici), ni la plus séduisante des figures emblématiques (Mme Guigou). Le professionnalisme, la sincérité et l'assiduité de Martine Aubry méritaient à Lille un score meilleur que celui qu'elle a fait, d'autant qu'elle a montré qu'elle laissait à Paris une position de pouvoir pour ne se préoccuper que des Lillois. La majorité qu'elle a remportée au second tour n'était pas à la mesure de son abnégation.
Le mérite de Delanoë
En revanche, si un homme a mérité d'être élu maire, c'est bien Bertrand Delanoë. Voilà un candidat dont on disait (dont nous disions) qu'il serait laminé par M. Séguin ; voilà un politicien qui, sur les plateaux de télévision, se faisait railler pour sa candeur ; mais voilà tout de même un homme sans charisme, sans magnétisme, sans grande notoriété au départ, qui a entrepris d'être élu sur son programme et seulement son programme, qui a rappelé les années qu'il a consacrées à la capitale, qui a montré qu'il était travailleur, assidu, honnête, au niveau de ses administrés, un homme qui a « démédiatisé », désacralisé, démythifié l'élection municipale et qui, en définitive, a été élu sur des mérites simples, ceux qu'il faut avoir dans un scrutin local.
Pour autant que le président de la République et le Premier ministre ont pris le contrôle de la campagne électorale, on ne saurait dire que leurs efforts ont été couronnés de succès. Le premier a perdu Paris, la seule ville qu'il lui aurait suffi de garder pour conserver son prestige et en plus, il a perdu Lyon, où l'arrivée en force de M. Dubernard entre les deux tours n'a pas été couronnée de succès. Le second a perdu beaucoup de villes, mais Strasbourg en particulier, qui n'est tombée à droite qu'à la suite d'une dissidence socialiste. L'un et l'autre pouvaient faire mieux.
Pour les échéances électorales de l'an prochain, le jeu est complètement ouvert. Il y a eu autant d'erreurs stratégiques à droite qu'à gauche. Le dilemme des Français, pour la présidentielle, sera ce choix entre Chirac et Jospin. Beaucoup d'électeurs préféreraient peut-être un troisième homme.
Défaites majoritaires
S'est-on assez gaussé du système électoral américain qui permet à un candidat minoritaire en voix populaires de gagner la présidentielle avec les voix du Collège électoral ! Eh bien, c'est à peu près ce système qui a été adopté pour Paris, Lyon et Marseille, villes où la liste gagnante dans chacun des arrondissements ou des secteurs emporte tous les sièges de conseiller.
Faites une comparaison simple : les arrondissements de Paris correspondent aux Etats américains ; M. Séguin est Al Gore, M. Delanoë est George W. Bush. Séguin-Gore obtient la majorité populaire, mais il est battu par Delanoë-Bush qui, lui, a remporté plus d'Etats-arrondissements que son adversaire : douze sur vingt. De même que fonctionne aux Etats-Unis le système « winner take all », de même un arrondissement donne tous ses sièges au conseil municipal à celui qui y remporte la majorité populaire. C'est un scrutin majoritaire et non pas proportionnel. Est-il juste, est-il injuste ? Ceux qui ont tourné l'Amérique en dérision il y a quatre mois doivent dénoncer le système appliqué aux trois grandes métropoles. Ceux qui ont jugé légitime l'élection de M. Bush doivent accepter sans rechigner celle de M. Delanoë.
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