A LA MI-MAI 2005, un premier pic épidémique a été signalé dans le nord de l’île, et l’InVS de la Réunion en a été informée. Dans les mois suivants, au cours de l’hiver austral, les médecins ont assisté à une décroissance progressive des cas. Mais, à partir du mois d’octobre, au moment du début de la saison chaude et humide, qui favorise la prolifération des vecteurs, le nombre de cas a progressivement remonté, et l’épidémie s’est étendue à l’île tout entière. La véritable explosion du nombre de cas a eu lieu à la mi-décembre.
Une étude rétrospective a été mise en place dans le service de pneumologie et des maladies infectieuses au Groupement hospitalier Sud Réunion (Ghsr) (Saint-Pierre). Pour être inclus, les patients devaient être âgés de plus de 16 ans, avoir consulté depuis mars 2005, et leur infection devait avoir été confirmée par sérologie. Les 31 patients inclus (11 hommes et 19 femmes) étaient âgés en moyenne de 44,8 ans, 80 % d’entre eux avaient été hospitalisés pendant une durée moyenne de 5,2 jours. Seul un décès est survenu chez une patiente de 92 ans atteinte de pneumopathie nosocomiale et une septicémie à S.aureus. Sur le plan clinique, ces patients présentaient une fièvre dans 100 % des cas, des polyarthralgies (90 %), une éruption cutanée (77 %). D’un point de vue biologique, le bilan se caractérisait par une lymphopénie (50 %), une thrombopénie (37 %), une majoration de la CRP (73 %), une baisse du calcium (50 %) et une augmentation des ALAT (18 %) et des gamma GT (30 %). Des formes exceptionnelles et graves ont aussi été recensées par les services de réanimation du CHD (Saint-Denis) et du Ghsr (réanimation polyvalente et neurochirurgicale). Au 3 février 2006, les réanimateurs signalaient huit méningo-encéphalites à chikungunya chez des adultes. Ces atteintes ont laissé des séquelles chez au moins trois des patients : confusion sévère, trouble vésical et ralentissement psychomoteur.
Des formes graves.
Un patient de 82 ans est décédé trois mois après l’installation de la pathologie neurologique. Un syndrome de Guillain-Barré chez une femme de 54 ans a aussi été rapporté. Trois cas d’hépatite fulminante susceptibles d’être liés au virus du chikungunya sont survenus ; deux de ces patients présentaient un terrain d’éthylisme chronique sans cirrhose et l’analyse du dossier ne permet pas d’affirmer la prise médicamenteuse hépatotoxique ; la troisième patiente était âgée de 45 ans et elle avait consommé trois comprimés de paracétamol.
Des formes infectieuses graves du fait de leur répercussion clinique ont aussi été signalées : choc septique sur pyélonéphrite, infections opportunistes, septicémie à listériose, abcès hépatique à pyogènes, forme grave d’infection pulmonaire qui ont conduit au décès. Les réanimateurs rapportent aussi des pathologies masquées (retard diagnostique sur péritonite appendiculaire qui ont conduit au décès ou absence de diagnostic de leptospirose), des pathologies iatrogènes (morphiniques, Ains) et des pathologies chroniques décompensées (OAP, insuffisance rénale).
En pédiatrie.
Les pédiatres de l’île ont aussi mis en place des études épidémiologiques dès le début de l’épidémie. Le nombre mensuel d’accouchées au Ghsr qui ont présenté un épisode de chikungunya pendant la grossesse est passé de 1 en juillet 2005 à 16 en décembre 2005 et à 43 en janvier 2006. Dans le sud de l’île, au 3 février 2006, 8 cas prouvés d’infection materno-foetale ont été signalés, contre 9 dans le nord de l’île. Au Ghsr, 7 cas d’infection postnatale ont aussi été prouvés, 2 d’entre eux ont nécessité une admission en réanimation. En pédiatrie, les médecins rapportent une difficulté au diagnostic différentiel : dermatoses bulleuses (syndrome de Lyell, qui pourrait être en rapport avec l’utilisation d’Ains), syndrome de Kawasaki, purpura fébrile, tableau pseudopéritonéal, thrombopénie, myocardite, etc. Dans cette tranche d’âge, la question de la thérapeutique se pose aussi (morphiniques, Ains et paracétamol). Enfin, en pédiatrie générale, l’évolution de l’épidémie entraîne depuis le début janvier une augmentation de 35 % par semaine du nombre de passage aux urgences pédiatriques pour chikungunya, et entre 20 et 30 % de ces enfants sont hospitalisés, principalement en raison de tableaux fébriles et hyperalgiques chez des moins de 3 mois. La prise en charge de ces enfants reste, en effet, difficile, en raison des effets indésirables liés à l’utilisation des morphiniques, du risque de déshydratation, et des problèmes dermatologiques secondaires rencontrés en cas de lésion bulleuse.
Les présentations ont eu lieu lors de la 4e réunion du vendredi 10 février 2006, organisée par le Dr Antoine Perrin, directeur de l’ARH Réunion Mayotte. Drs Moiton, Borgherini, Pilorget, Robillard, Renouil, Ovrain, Barau-Repère, Flodrops.
Des informations médicales et grand public sont disponibles sur le site : http://www.chikungunya.net.
L’afflux aux urgences
Le Dr Mordidelli, chef de service des urgences à l’hôpital de Saint-Paul, explique : «Devant l’afflux de passages aux urgences (170 le 23 février 2006, contre 70 les jours de semaine habituels), nous avons mis en place des mesures de dédoublement des chambres à un lit et nous avons cessé de pratiquer les interventions chirurgicales programmées.» Pour le Dr Arnaud Bourde, responsable du centre 15 de l’île, «le nombre d’appels au15 a nettement augmenté au cours des dernières semaines: de 10 à 12% d’entre eux concernent directement le chikungunya en semaine, contre 25% en fin de semaine».
«Depuis la fin du mois de janvier 2006, la situation est tendue sur le plan hospitalier. C’est pour cette raison que la Dhos a fait appel aux médecins et aux IDE* métropolitaines volontaires afin d’apporter un soutien aux équipes de l’île», explique, au « Quotidien », le Pr Didier Houssin, directeur général de la Santé. La Dhos signale que 80 IDE volontaires sont parties depuis le 4 février 2006, la plupart sur leur temps de congé personnel, ainsi que 37 médecins. Tous sont restés en moyenne deux semaines sur place. Treize autres médecins devraient partir dans les sept jours, ainsi que 4 médecins et 6 IDE du Service de santé des armées.
* Infirmières diplômées d’Etat.
Le Leem mobilisé
Une quinzaine d’entreprises du médicament se sont réunies à l’initiative du ministre de la Santé le 23 février 2006 afin de définir un plan d’action dans la lutte contre le chikungunya. Trois actions seront engagées à court terme. En premier lieu, identification des médicaments ayant déjà une AMM et qui pourraient être dotés d’une efficacité – totale, partielle ou préventive – sur le virus : la cellule de coordination (responsable Antoine Flahault) transmettra la liste des médicaments à tester en priorité (antipolymérase, antibiotiques, chloroquine et plantes médicinales telles que le noni – fruit de l’arbre Morinda citrofolia –, l’aloe vera, le Pueraria lobata ou le Chrysanthelum). Le Leem transmettra ensuite la demande aux laboratoires concernés et assurera la coordination. La cellule de coordination recensera les laboratoires de type P3 où les cultures cellulaires sont possibles et organisera le screening des molécules fournies par les industriels. Enfin, le ministre s’assurera que les conditions réglementaires n’entravent pas la rapidité de la mise en oeuvre de cette investigation.
Outre ce travail, un approfondissement des voies de recherche sur le virus chikungunya va être entrepris en réunissant, avec la participation du ministère de la Recherche, des chercheurs du public et du privé. Une sécurisation des stocks de médicaments essentiels sera mise en place. A moyen terme, trois autres projets seront envisagés : développement avec le LFB d’immunoglobulines spécifiques et d’anticorps monoclonaux ; étude de la faisabilité d’un vaccin avec les laboratoires spécialisés ; réflexion sur d’éventuelles études cliniques ou épidémiologiques qui pourraient être menées en partenariat public-privé.
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