P OUR le Pr Claude Huriet, sénateur de l'Union centriste, le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception « fait presque totalement l'impasse sur les facteurs qui expliquent le nombre élevé des avortements en France et sur la situation des 4 000 à 5 000 femmes qui doivent se rendre à l'étranger. Faute d'en analyser les causes, il n'apporte comme solution, outre la prolongation du délai (de 12 à 14 semaines d'aménorrhée), que la contraception par stérilisation ».
« Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires », a tenu à souligner, lors de la discussion générale du texte (« le Quotidien » du 28 mars), le questeur du Sénat, en s'inspirant de Montesquieu. « Inutile car, comme le souligne le Pr Israël Nisand, si des difficultés subsistent, la loi Veil du 17 janvier 1975 est globalement bien appliquée. » Il aurait été préférable d'agir sur les IVG tardives en augmentant les moyens des centres spécialisés. Le Pr Nisand « regrette, rapporte le Pr Huriet, la réponse insuffisante du service public tant en quantité (difficultés de recrutement des professionnels, contingentement des avortements) qu'en qualité (accueil parfois inadapté, faible disponibilité de l'IVG médicamenteuse) ».
Quant à la prolongation de deux semaines du délai légal, présentée comme un remède à « un peu plus d'un pour cent (sur 214 000 IVG) des cas hors délai », elle « fait fi des conséquences médicales et logistiques qui risquent d'aller à l'encontre du but fixé. L'Académie de médecine et l'Ordre ont insisté sur la nécessité de précautions médicales renforcées, l'existence d'un plateau technique chirurgical, la compétence des intervenants et le recours à l'anesthésie-réanimation », insiste le parlementaire. L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé précise que « deux semaines supplémentaires ne sont pas anodines, en particulier pour l'IVG médicamenteuse ». Le taux de rétentions placentaires justifiant la réalisation d'une évacuation chirurgicale de l'utérus sous anesthésie générale atteint pratiquement 10 %. En ce qui concerne les avortements chirurgicaux, « du fait du volume ftal, la simple aspiration du contenu utérin n'est pas toujours possible, et il peut alors être nécessaire d'utiliser des pinces spécifiques ».
Aussi le Pr Claude Huriet partage-t-il l'opinion de son confrère Nisand, lequel, dans un rapport qu'il a remis à Martine Aubry, propose de maintenir le délai légal en vigueur et de désigner dans chaque région une structure hospitalière spécifiquement habilitée à recevoir les femmes dépassant les 10 semaines. Concrètement, le sénateur de l'opposition réclame « des moyens financiers supplémentaires, une nouvelle organisation des centres d'orthogénie et des mesures permettant de répondre rapidement à la pénurie de gynécologues et d'anesthésistes-réanimateurs, deux spécialités médicales sinistrées ». Il en va de la « sécurité sanitaire » des patientes.
Développer l'information
Plus fondamentalement, Claude Huriet appelle à remédier à « une éducation sexuelle et à une information sur la contraception défaillantes », afin que « le nombre et la proportion de femmes » qui se font avorter en France ne soient pas « supérieurs à ceux d'autres pays d'Europe », comme le relève un récent constat du Comité d'éthique.
Quoi qu'il en soit, le projet de loi Aubry-Jospin, malgré l'opposition constructive du palais du Luxembourg, ne devrait pas changer dans le fond avant son adoption définitive par le Parlement d'ici à l'été.
Alors, que se passera-t-il sur le terrain, du côté des praticiens ? Le Pr Huriet a cherché à le savoir en interrogeant 200 des 857 structures publiques et privées effectuant des avortements en France (voir encadré). Parmi les questionnaires retournés, 45 centres poursuivront « normalement leur activité », tout en mettant l'accent, pour nombre d'entre eux, sur « les réserves d'une partie des équipes, le besoin de moyens matériels et humains renforcés, la nécessité de former les médecins à des techniques différentes et les risques supplémentaires encourus par les femmes ». 85 autres centres réaliseront toujours des IVG jusqu'à la 10e semaine, mais pas au-delà ; et 47 d'entre eux « envisagent de transférer à des établissements mieux équipés les avortements tardifs ».
En extrapolant à l'ensemble du pays, ce sont les deux tiers des centres d'orthogénie qui ne pratiqueraient pas d'IVG entre 12 et 14 semaines d'aménorrhée. Les réfractaires invoquent le risque hémorragique, le problème éthique ( « le diagnostic du sexe est possible en échographie vaginale »), la taille du ftus et la cotation « misérable » de l'acte par rapport à « la difficulté et à la responsabilité » de l'intervention, ou encore affirment que les « 5 000 personnes qui se font avorter à l'étranger, de toute façon, dépasseront le délai, quel qu'il soit ».
857 centres d'orthogénie
449 établissements publics et 408 privés assurent les IVG en France, qui concernent 13,3 femmes de 15 à 49 ans sur 1 000. Près des deux tiers des 214 000 avortements annuels sont réalisés dans les hôpitaux. Vingt structures, dont 18 appartenant au secteur public, font 20 % des IVG et 175 autres n'en effectuent que 2,5 %. Cinquante-cinq pour cent des actes relèvent d'établissements en pratiquant plus de 400 par an.
Trois avortements sur 5 interviennent avant la 8e semaine et 1 sur 5 à 5 semaines. En raison de délais d'attente moins longs, 48 % des IVG du privé se produisent à moins de 6 semaines, contre 34 % dans le public.
L'IVG chirurgicale est la plus fréquente, tandis que le recours à la mifépristone, associée au misoprostol, représente 25 % des cas.
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