DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE EN GUYANE
DANS LES DÉPARTEMENTS français d’Amérique (DFA), le nombre de nouveaux cas de VIH/sida rapportés à la population est près de six fois plus élevé qu’en métropole (24 cas contre 4 pour 100 000 habitants). La Guyane est le département le plus touché, avec 62 cas pour 100 000, soit trois fois plus qu’en Guadeloupe (20 pour 100 000) et cinq fois plus qu’en Martinique (13 pour 100 000). Une situation alarmante qui a conduit le Conseil national du sida (CNS) à tirer la sonnette d’alarme en avril 2003 (« le Quotidien » du 4 avril). Le cas de la Guyane y était jugé inquiétant. Une mission du CNS envoyée sur place avait mis en évidence «des lacunes dans le système dans son ensemble» et recommandait «la mise en oeuvre d’un plan général, sanitaire et social», au-delà des considérations propres au VIH/sida.
En 2003, l’enquête Anrs-Vespa sur les conditions de vie et de prise en charge des malades mettait en évidence les indicateurs d’une prise en charge insuffisante : dépistage tardif, proportion de personnes traitées plus basse qu’en métropole (74 % contre 83 %), avec un taux d’échecs thérapeutiques plus élevé (12,3 % contre 5,2 %). Mais l’évaluation réalisée en 2004 à partir des données des Cisih (centres d’informations et de soins de l’immunodéficience humaine) était déjà en nette amélioration puisqu’elle montrait des proportions de personnes traitées et de patients avec une charge virale indétectable comparables à celles de la métropole, respectivement 80 % et 70-75 %.
«L’épidémie est essentiellement à transmission hétérosexuelle, avec plus de 90% des patients infectés lors d’un rapport hétérosexuel, explique le Dr Mathieu Nacher, épidémiologiste et coordinateur du Cisih à l’hôpital de Cayenne . Par ailleurs, elle touche une forte proportion de migrants, ce qui pose des problèmes particuliers en raison de difficultés liées à la langue et à la précarité sociale. A Cayenne, sur une file active de 700patients, 80% sont étrangers, dont la moitié sont haïtiens. La présence d’un médiateur culturel qui parle la langue des malades et a l’expérience de leurs cultures nous aide à mieux expliquer les concepts de virus, de réplication,de résistance aux antirétroviraux, souvent peu compréhensibles pour des patients qui se réfèrent à un registre plutôt magico-religieux.»
Grâce à la CMU, à l’aide médicale d’Etat (AME) et aux procédures d’urgence en cas de refus de l’AME, tous les patients qui en ont besoin peuvent être traités. Mais les problèmes demeurent, et notamment un isolement considérable des personnes infectées. Comme l’a montré l’enquête Anrs-Vespa, plus d’un tiers d’entre elles n’osent pas annoncer leur séropositivité à leur conjoint, la plupart refusant d’en parler à leur cercle familial ou amical. «Un tiers des femmes enceintes séropositives qui accouchent en Guyane ne connaissent pas leur statut sérologique au moment de l’accouchement, indique le Dr Elenga Narcisse, du service de pédiatrie générale de l’hôpital de Cayenne . Sur les cinquante femmes enceintes séropositives qui accouchent chaque année, entre quinze et vingt arrivent sans connaître leur statut.» Malgré tout, la Guyane parvient à un taux de transmission mère-enfant similaire à celui de la métropole (moins de 1 %) grâce au protocole inédit mis en place il y a un an et qui consiste à instaurer une quadrithérapie intensive chez l’enfant (névirapine en monodose et AZT-3TC-nelfinavir pendant un mois).
Progrès considérables.
«Les progrès sont considérables et inscrits dans les chiffres. Il faut sortir de la litanie du “ça ne va pas” à laquelle j’ai moi-même participé en tant qu’expert, notamment pour la prévention en Guyane», commente le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Anrs, venu présenter les résultats d’une nouvelle enquête financée par l’Agence avec la participation de la Fondation de France et réalisée par l’observatoire régional de santé (ORS) Ile-de-France. Versant Antilles-Guyane de la grande enquête sur les connaissances, les attitudes, les croyances et les comportements face au VIH/sida (KABP), réalisée en métropole tous les trois ans depuis 1990, son objectif est de fournir des données en population générale susceptibles d’améliorer la prévention. Or de telles données n’étaient pas disponibles pour les DFA depuis l’enquête Acsag (analyse des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane) conduite en 1992. L’enquête a été réalisée par téléphone entre septembre et décembre 2004 auprès de 3 014 personnes (1 000 par département) âgées de 18 à 69 ans, parlant le français ou le créole. «C’est en Guyane que l’amélioration des connaissances entre 1992 et 2004 est la plus notable», indique Sandrine Halfen (ORS), responsable de l’étude. La population des DFA connaît très largement les modes de transmission, même si cette connaissance semble moindre qu’en métropole et que des croyances erronées persistent dans des proportions plus élevées. Par exemple, 14 % des habitants pensent que le VIH peut être transmis en buvant dans le verre d’une personne contaminée (11 % en métropole). Les connaissances sont d’autant plus insuffisantes que les personnes sont plus âgées, sont sans diplôme et qu’elles sont nées hors des DFA, dans la Caraïbe ou en Amérique du Sud. Cette meilleure connaissance des modes de transmission est associée à une compréhension plus exacte de l’efficacité des stratégies de prévention et de limitation des risques. Le préservatif masculin est jugé efficace et son utilisation progresse : 85 % des hommes interrogés et 72 % des femmes déclarent l’avoir déjà utilisé contre respectivement 70 et 50 % en 1992. L’augmentation est encore plus nette pour l’utilisation du préservatif lors du premier rapport : de 7 à 80 % des hommes selon que le premier rapport a eu lieu avant 1985 ou après 1996 (11 et 71 % chez les femmes). Le recours au préservatif reste néanmoins plus rare qu’en métropole et d’autres indicateurs témoignent d’une utilisation probablement plus irrégulière : les infections sexuellement transmissibles (IST) ou les interruptions volontaires de grossesse sont plus fréquemment rapportées dans les DFA, notamment en Guyane.
Les caractéristiques générales de l’activité sexuelle exposent les hommes à un risque plus élevé de contamination : début de vie sexuelle plus précoce, importance du recours à la prostitution, multipartenariat plus fréquent, persistant en dépit de l’âge. Par rapport aux Antilles, où existe un multipartenariat relativement stable (plusieurs partenaires, mais les mêmes), en Guyane, le changement de partenaires est plus fréquent. Cependant, le recours au dépistage est observé plus souvent qu’en métropole, même s’il semble moins lié à une stratégie de prévention et s’effectue plutôt dans le cadre d’un bilan médical. A noter qu’une personne sur deux indique «ne pas avoir entendu parler» de traitement contre le VIH et la plupart méconnait le traitement d’urgence en cas d’exposition.
Si elle reste plus élevée qu’en métropole, surtout dans les situations de proximité, la stigmatisation des personnes séropositives est en baisse par rapport à 1992 : une personne sur cinq dans les DFA contre une sur vingt en métropole, refuserait d’aller manger chez une personne séropositive. Enfin, l’enquête montre que le VIH/sida reste une préoccupation majeure et que, contrairement à la banalisation observée en métropole, le niveau de crainte reste élevé (31 % contre 23 % déclarent craindre beaucoup le sida) et les habitants se disent concernés par les campagnes d’information (43 % contre 23 % en métropole).
La situation des migrants.
La tendance à l’homogénéisation des connaissances et des comportements entre les trois départements bénéficie surtout à la Guyane, qui, en 1992, se démarquait défavorablement. En revanche, le niveau de connaissance est en baisse en Martinique.
Au-delà des différences entre espace géographique, c’est au sein de chaque département que les écarts sont les plus importants, notamment du fait du niveau d’éducation des individus et de leur lieu de naissance. «Et c’est en Guyane, où la population est la plus diversifiée sur le plan socio-démographique, que ces différences sont les plus notables», insiste Sandrine Halphen. Les étrangers y sont nombreux. Dans l’échantillon, pour 46 % des personnes nées en Guyane, 21 % viennent de la métropole, 10 % d’un autre DFA et 23 % hors des DFA (Haïti, Guyana, Brésil, Surinam…). Pour mieux mesurer la vulnérabilité de ces populations, une partie de l’enquête KABP a été réalisée auprès de personnes utilisant exclusivement le téléphone portable. Les résultats seront connus dans six mois. D’ores et déjà se dégagent des pistes pour une meilleure stratégie de prévention, notamment plus ciblées en direction des moins diplômés, des personnes nées hors des DFA, des plus âgés et des plus jeunes (50 % de la population a moins de 20 ans), et les femmes qui ont moins la maîtrise de la prévention. «Désormais, la politique de prévention pourra s’appuyer sur des données validées et non plus des impressions», conclut le Pr Delfraissy. Mais, selon lui, le prochain défi auquel devra s’atteler la Guyane sera celui de «clarifier la situation administrative et politique par rapport aux migrants».
La parole aux associations
En Guyane depuis vingt-deux ans, le Dr Geneviève Simart, pédopsychiatre, ancienne de l’association Aides, a créé sa propre association, Entre’Aides. «Nous avons commencé très tôt, dès 1988, à faire de la prévention dans les écoles, puis nous avons ciblé nos actions vers les plus vulnérables, les Haïtiens, les populations qui vivent sur les bords du Maroni ou encore en prison.» Depuis trois ans, l’association implantée dans la ville de Cayenne s’occupe spécifiquement des travailleurs du sexe et assure la distribution de préservatifs à la Crique, un quartier chaud de la ville. Les jeunes migrants restent une cible importante.
Ce jour-là, Thomas, qui a rejoint l’association il y a deux ans, intervient auprès de jeunes de 16-26 ans en difficulté, qui sont en formation à Kourou dans un centre qui les aide à définir leur projet professionnel. Une quinzaine de jeunes l’attendent. La séance commence par une rapide présentation de l’association et du thème qui va être abordé. Les jeunes sont attentifs. Très vite, il leur demande de dessiner l’organe génital masculin au tableau. Sourires gênés. Fabiolo, 20 ans, se dévoue. Les questions se succèdent, la séance s’anime. «Passons à la femme maintenant», propose Thomas. Là, il a recours à une animation qu’il a conçue lui-même. Où situer l’urètre ? Silence. C’est un garçon qui répond. «Ah bon!», une des filles semble surprise. «Je pensais que l’on urinait par l’orifice vaginal», explique-t-elle. L’animateur lui conseille alors de ne pas hésiter à se regarder dans un miroir pour bien voir. Le système immunitaire, l’infection à VIH, la différence entre la séropositivité et la maladie sont alors abordés, toujours à partir de l’animation. «Il faut que cela reste très visuel», explique Thomas. L’histoire de Sista et de Blada, deux jeunes amoureux, est l’occasion de rappeler toutes les situations à risque de transmission du virus et les moyens de se protéger. Danielle, 21 ans, qui a déjà un enfant de 6 ans, s’étonne lorsqu’elle apprend que la maladie ne se transmet pas par la salive. A l’inverse, elle ne sait pas que le VIH pouvait se transmettre par le lait maternel. «C’est important d’avoir comme cela des rappels», admet-elle. Enfin, la séance de pose du préservatif est l’occasion pour ceux qui le souhaitent de s’exercer à le mettre. Moïse, 19 ans, affirme qu’il «vaut mieux le mettre soi-même, c’est plus sûr» et trouve le préservatif féminin «vilain et peu pratique». Ce qu’infirme Danielle qui n’en voit que les avantages : «On peut le mettre avant de partir en soirée», suggère-t-elle. Quant à savoir s’il n’est pas gênant au moment des rapports, c’est Moïse qui affirme : «Mieux vaut enlever le plaisir que mourir de maladie.»
Hervé, lui, est resté silencieux. Haïtien, il est arrivé en Guyane depuis peu. «Les Haïtiens sont très discrets contrairement aux Brésiliens qui viennent à plusieurs en consultation», expliquait le Dr Mathieu Nacher, du Cisih de Cayenne. Georges Robert, président d’une association de soutien aux familles de malades dont le siège est situé à la cité de Thémire, où réside une forte communauté haïtienne. «Le plus dur, c’est le regard des autres. Les Haïtiens ont été accusés d’être à l’origine de l’épidémie», explique-t-il. Lui-même est Haïtien, en Guyane depuis vingt-deux ans, mais son association s’occupe de tous ceux qui lui sont adressés : 250 familles en difficulté. Et pour éviter le problème du repérage, malades et non-malades se côtoient. En plus de l’aide alimentaire, l’association est habilitée à faire de l’alphabétisation. Lorsqu’une assistante sociale lui signale un perdu de vue qui ne prend plus son traitement, c’est lui qui part à sa recherche, «parce qu’ils ont confiance en moi». Et tout cela, en plus de son métier de plombier.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature