L ES jeux sont faits en Israël où, sauf coup de théâtre bien improbable, Ariel Sharon sera élu Premier ministre la semaine prochaine. Tous les sondages lui accordent en effet entre 16 et 20 points d'avance sur le chef du gouvernement sortant, Ehud Barak. On peut dire que les Israéliens et les Palestiniens auront à peu près tout fait pour qu'arrive au pouvoir en Israël un homme qui a déjà décrété la mort des accords d'Oslo.
Les Israéliens d'abord, parce qu'Ehud Barak, pourtant capable d'avoir proposé à Yasser Arafat les concessions les plus généreuses qu'Israël ait jamais faites, a mis en uvre une stratégie électorale incompréhensible. Désavoué par une majorité d'élus et de citoyens, il a commencé par annoncer des élections anticipées. Ce geste lui accordait au moins cinq mois de répit puisque de telles élections ne devaient avoir lieu qu'en mai. Fort de ce délai, il avait le temps de conclure avec M. Arafat un accord définitif sur lequel aurait voté le peuple israélien : un accord de paix comportant des avantages et des sacrifices, à prendre ou à laisser. Un accord que les Palestiniens pouvaient certes rejeter, mais qui ne leur laissait, comme alternative, qu'une extension durable du conflit. En d'autres termes, un référendum sur la paix ou la guerre.
Changement de tactique
Mais brusquement, M. Barak a changé de tactique et mis en jeu sa propre fonction de Premier ministre, pour laquelle un récent dispositif constitutionnel prévoit une élection séparée des législatives. Du coup, le délai, pour M. Barak, était raccourci de trois mois. Le temps lui a donc manqué pour terminer une uvre dans laquelle il a engagé sa carrière. Car M. Barak n'occupait pas les fonctions de Premier ministre pour adopter des lois sociales ou améliorer le rythme de croissance économique. Il n'était là que pour faire la paix, même s'il n'a pas été aidé dans sa tâche par l' intifada. S'il a riposté en militaire, c'est-à-dire avec violence, aux lanceurs de cailloux puis aux tireurs du Fatah, il n'a pas rompu le fil de la négociation. Il a donc observé depuis septembre une ligne de conduite immuable. Malheureusement il a en même temps adopté une procédure électorale qui n'a pas servi son propre intérêt. On se perd en conjectures sur ses motivations. On peut comprendre que sa fermeté répressive était destinée à rassurer ses concitoyens, épouvantés par un soulèvement qui les menaçait à l'intérieur d'Israël et dans les territoires. On ne peut pas comprendre qu'il n'ait pas exploité toutes les ressources que lui offrent les institutions pour rester au pouvoir plus longtemps. On ne comprend pas davantage que, parvenu, à la fin de la semaine dernière, à la conclusion qu'il ne pouvait plus ficeler les accords avant l'échéance du 9 février, date de l'élection du Premier ministre, il n'ait pas encore cédé la place à Shimon Peres, lequel, dans les sondages, fait au moins jeu égal avec Ariel Sharon. La cote de popularité de M. Peres est d'autant plus surprenante qu'au plus fort de l' intifada il s'est abstenu de tout propos incendiaire. Il n'a cessé de répéter que, quels que soient les actes de violence, il continuerait, pour sa part à rechercher imperturbablement les moyens de s'entendre avec les Palestiniens sur leur avenir politique et qu'Israël n'avait pas d'autre choix.
Ce qu'on sait de Taba
Sonnés par des batailles quotidiennes, les Israéliens auraient pu se méfier, comme dans le passé, de cet homme prêt à trouver un accord de paix dans les conditions les plus néfastes. Cette fois, ils semblent deviner que, s'ils choisissent Sharon, ils se lancent dans une expérience qui sera douloureuse pour eux et pour leurs adversaires, alors que, selon ce qu'on sait de ce qui a été discuté à Taba (Egypte) au cours d'une négociation marathon, le compromis sur les territoires, sur le droit au retour, sur les frontières de l'Etat palestinien était à portée de la main.
Comme tous les compromis, celui-ci comprenait des concessions. Il n'y a pas eu d'accord formel, mais il y a eu un accord pour ne rien annoncer avant l'élection israélienne. Pourquoi ?
Peut-être parce que M. Barak n'est pas complètement insensible aux critiques du Likoud et de M. Sharon, qui lui ont fait savoir que, s'ils parvenaient au pouvoir, ils ne seraient pas liés par un document qu'aurait signé l'ancien Premier ministre. La négociation était donc vaine dès le départ ; mais rien n'empêchait M. Barak de dire à ses concitoyens qu'il était en mesure de leur apporter une paix imminente. Cela aurait au moins renforcé ses chances électorales. Il n'est pas impossible qu'il ait craint d'être qualifié de démagogique.
Peut-être aussi que M. Arafat n'était pas prêt à reconnaître, face aux Palestiniens, qu'il n'avait pas obtenu satisfaction sur tous les points, ce qui risquait d'amenuiser encore sa popularité. Car la stratégie de M. Arafat n'est pas plus claire que celle de M. Barak : il a négocié tout en laissant l'intifada atteindre des sommets de violence. Depuis septembre dernier, il a plus souvent recherché des soutiens étrangers qu'il n'a tenté de réduire le nombre de morts dans son camp. Il y a quelques jours à peine, invité au Forum économique de Davos, il a lancé contre Israël une philippique de bateleur dans laquelle ne manquait aucun de ces mots, de fasciste à sauvagerie, qui décrivent le plus sanguinaire des bourreaux. Shimon Peres, également présent à Davos, mais serein comme d'habitude, lui a aussitôt répondu qu'un tel discours n'apportait rien à la paix mais ne changerait en rien la volonté des dirigeants israéliens actuels de négocier. M. Arafat, toujours égal à lui-même, lui a aussitôt serré la main. Entre violence et négociation, le président de l'Autorité palestinienne ne choisit pas. Il lui importe principalement de ne pas perdre le soutien d'un maximum de Palestiniens, fussent-ils les moins enclins à servir la cause de la paix. Etrangement, il ne se soucie guère des sentiments hostiles qu'il inspire à la population israélienne, celle qui, en dernier ressort, lui fera pourtant savoir quelles frontières elle donne à l'Etat palestinien et ce que M. Arafat pourra y faire. Qu'il s'agisse des arafatistes ou des anti-arafatistes, il n'y en a pas un qui n'ait pas, depuis cinq mois, favorisé l'irrésistible ascension de M. Sharon, pas un qui n'ait pris le parti d'une guerre douloureuse et dont, pourtant, tous les Palestiniens condamnent les effets par des imprécations répétées. Où est leur logique ?
Dans une semaine, les Palestiniens dénonceront d'une seule voix l'arrivée de M. Sharon au pouvoir ; tous accableront les électeurs israéliens de leurs menaces et de leurs injures ; tous diront qu'Israël a choisi le parti de la guerre.
Mais c'est trop simple. Tout peuple a le droit de se soulever pour recouvrer sa liberté ; tout désespoir conduit à la violence ; toute révolte politique est dictée par une quête de justice. Depuis cinq mois, ce n'est pas seulement la violence que nous avons condamnée dans ces colonnes, c'est son inutilité dans un cas historique où elle traduit le rejet d'un peuple qu'on ne peut pas faire disparaître comme par enchantement. Nous ne changerons pas d'avis : c'est la paix qu'il faut trouver, ici et maintenant. Mais il faut commencer par en prendre le chemin.
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