D ANS les propositions communes qu'elles ont rendues publiques à l'occasion du « Grenelle de la santé », les trois caisses nationales d'assurance-maladie (salariés, agriculteurs et travailleurs indépendants) plaident pour une profonde rénovation de l'organisation des soins de ville.
Sans doute échaudés par le précédent du plan stratégique - un brin provocateur - qu'elles avaient présenté en 1997 et que Martine Aubry avait renvoyé, sans autre forme de procès, dans les poubelles de l'histoire sociale, les responsables de l'assurance-maladie ont élaboré, cette fois-ci, un texte plus édulcoré dans lequel ils reprennent néanmoins certaines des propositions du plan stratégique, quitte à les présenter comme de simples pistes de travail parmi d'autres.
Visiblement désireuses de tendre la main aux organisations de médecins hostiles au système actuel, les caisses réaffirment leur très nette opposition au mécanisme des « lettres clés flottantes » qui se traduit par des baisses d'honoraires en cas de hausses des dépenses maladie plus importantes que prévu. Parce qu'il « renforce le cloisonnement du système de soins », parce qu'il limite la régulation des dépenses « aux seuls honoraires des professionnels » (et non à leurs prescriptions qui augmentent particulièrement) parce qu'il « fragilise les syndicats de professionnels qui s'engagent » en acceptant de signer des conventions avec la Sécurité sociale - allusion limpide à MG-France dont l'audience a diminué - et qu'il « conforte ceux qui s'installent dans des positions d'immobilisme », parce que - last but not least - il n'apporte pas « une garantie d'efficacité économique » - puisque les dépenses augmentent plus rapidement que prévu, le système des lettres clés flottantes est condamné sans appel.
« Respectueuses de la loi », les caisses nationales font simplement remarquer, au passage, que c'est pour « s'inscrire dans le cadre choisi par les représentants de la nation » qu'elles ont proposé, à deux reprises l'an dernier, des baisses de tarifs au gouvernement qui les a avalisées. Encore, affirment-elles, qu'elles ont fait montre de discernement dans l'application de ces mesures.
Responsabilité individuelle
Pour remplacer le dispositif actuel par un mécanisme de régulation du système de soins garantissant « la solidarité et l'équité », les caisses proposent un dispositif privilégiant « l'utilité et la qualité des soins ». Au delà de cette déclaration de principe à laquelle on ne peut que souscrire, les responsables de l'assurance-maladie semblent prêts à abandonner un système de responsabilité collective - dans lequel toute une profession peut être sanctionnée, comme c'est le cas avec les lettres clés flottantes - au profit d'un système de responsabilité individuelle. De même, les caisses semblent favorables - comme le réclament de nombreux médecins - à ce que le système de régulation des dépenses repose sur des critères médicaux. Elles préconisent le développement de références médicales opposables - qui indiquent au médecin ce qu'il ne doit pas faire -, mais aussi la multiplication de « recommandations de bonnes pratiques », élaborées par la communauté médicale et scientifique et aidant le praticien dans son exercice quotidien.
L'assurance-maladie souligne au passage que ces recommandations, « loin de dévaloriser la pratique des professionnels, leur apportent au contraire des références et des points d'appui » et peuvent leur offrir une « sécurisation dans leur pratique professionnelle ». Les caisses envisagent, en effet, de se substituer aux praticiens lors des procès en responsabilité civile, dès lors que les médecins poursuivis ont respecté les recommandations de bonnes pratiques. Autrement dit, ce serait les caisses qui pourraient être condamnées et non plus les praticiens.
Dès lors qu'elles n'excluent pas un système de régulation des dépenses fondé sur la responsabilité individuelle de chaque praticien et sur le respect de critères médicaux, les caisses font un geste à l'égard des organisations professionnelles qui ont toujours condamné ce qu'elles appellent la « maîtrise comptable » des dépenses et les « sanctions collectives ».
Les responsables de l'assurance-maladie éludent cependant les sujets les plus conflictuels : quelles seront les sanctions en cas de non-respect des critères médicaux ? Ces sanctions seront-elles uniquement financières ? S'agira-t-il, par le biais de ce dispositif, de récupérer la totalité des sommes qui dépasseraient les objectifs de dépenses maladie fixés par le Parlement ? Les caisses se contentent de dresser la liste des questions qui se posent : « Quels sont les critères sur lesquels est fondée cette régulation individuelle ? Comment les pratiques médicales individuelles sont-elles évaluées ? Quelles conséquences tire-t-on de cette évaluation ? Est-une recertification régulière et par qui est-elle faite ?»
Mais les propositions de l'assurance-maladie ne s'arrêtent pas là.
Les responsables des caisses plaident notamment pour une
évolution profonde du système conventionnel. Ils déplorent que les conventions nationales qui lient les professions de santé à l'assurance-maladie soient
« entravées dans leur capacité à porter des projets innovants, car il n'est pas possible, aujourd'hui, pour un professionnel, d'exercer hors convention »dans la mesure où ses patients ne seraient remboursés que de manière dérisoire. Bref, l'obligation
de facto, sinon
de jure, pour les médecins, d'exercer dans le cadre conventionnel, aboutirait, à en croire la CNAM, à des conventions
a minimasusceptibles d'être appliquées par la quasi-totalité des professionnels.
Relancer le dialogue
Pour mettre un terme à cette situation, les responsables de l'assurance-maladie suggèrent l'élaboration d'un système à deux étages. D'une part, l'adoption d'un « règlement minimal » qui pourrait être commun à toutes les professions de santé (1). Bien qu'ils ne détaillent pas le contenu de ce règlement minimal, on peut supposer qu'il s'agirait de fixer des obligations réduites pour les professionnels de santé qui choisiraient ce cadre-là (respect des tarifs, etc.) et qui ne bénéficieraient que d'avantages réduits. Le second étage du dispositif reposerait sur des conventions auxquelles adhéreraient, « par une démarche librement consentie », les professionnels qui le voudraient, qui prévoiraient des « avantages et des obligations équilibrés » et qui pourraient notamment « s'adapter aux aspirations diversifiées » des professionnels.
La répartition de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire préoccupe également les caisses. Plutôt que de concevoir des mesures coercitives destinées à corriger les inégalités démographiques entre les régions, l'assurance-maladie estime que « les partenaires conventionnels pourraient proposer des modulations des avantages conventionnels (financement des cotisations sociales ou autres rémunérations forfaitaires) pour influer sur la répartition des professionnels ».
Relancer le dialogue
Pour ce qui est de la politique du médicament, les caisses reprennent une proposition qui figurait déjà dans le plan stratégique de l'automne 1998 : elles suggèrent que les spécialités, autres que les médicaments innovants, soient remboursées sur « la base d'un tarif de référence » par classe thérapeutique. Elles proposent également que les médecins aient la liberté de prescrire en utilisant la dénomination commune internationale (DCI) des médicaments.
Les responsables de l'assurance-maladie soulignent, par ailleurs, l'importance de disposer, dans la plus grande transparence, de données statistiques concernant les dépenses d'assurance-maladie.
Ils demandent au gouvernement de publier « sans tarder » les textes réglementaires qui permettront aux unions régionales des médecins libéraux de disposer de ces données. C'est là une vieille revendication des syndicats médicaux.
En mettant de telles propositions sur la table et en faisant des ouvertures en direction du corps médical, les caisses indiquent clairement qu'elles entendent jouer tout leur rôle en matière de rénovation du système de médecine ambulatoire et participer activement à la concertation qu'Élisabeth Guigou vient de lancer. Elles souhaitent, semble-t-il, renouer avec la profession un dialogue qui, ces dernières années, se réduisait à peu de choses.
(1) Le règlement minimal conventionnel qui existe actuellement et concerne les spécialistes est un dispositif qui s'applique en cas d'absence de convention. Contrairement au mécanisme envisagé par les caisses, les médecins n'ont donc pas le choix, dans le cadre actuel, entre un exercice dans le cadre conventionnel et un exercice dans le cadre d'un réglement minimal.
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