« E T une femme qui portait un enfant dans les bras dit : Parlez-nous des enfants.
Et il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la vie à elle-même.
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leur propre pensées », écrit Khalil Gibran, dans les années vingt, dans un livre intitulé « le Prophète ». La maîtrise des techniques médicales, qui permet de plus en plus tôt d'influer sur la vie du futur enfant, n'est-elle pas arrivée à faire mentir cet auteur libanais ? Dans quelle mesure le mythe de l'enfant parfait a-t-il été bouleversé par la diversité des techniques de dépistage prénatal ? Les intervenants du quatrième colloque de pédiatrie et de psychanalyse, qui se déroulera samedi et dimanche à la Maison de la chimie*, examineront les questions soulevées par les avancées des pratiques médicales en pédiatrie.
Le Dr Bernard Fonty, obstétricien, parle de l'enfant imaginaire, « l'enfant tel qu'on se le projette dans l'avenir ». « L'enfant imaginaire, c'est un concept formé avec tout notre background », explique-t-il, en constatant que beaucoup de femmes souffrant du post-partum blues sont déçues par leur bébé. Contrairement à l'enfant qui démontrera à ses parents, dès sa naissance, qu'il est un être autonome, le fœtus est à la merci de leur imagination. « Je ne connais pas de parents qui ne souhaitent pas un enfant sans handicap, note le Dr Fonty. Il y a une confusion entre la morphologie et la perception globale de l'enfant. »
Les questions que se poseront les parents en cas de découverte d'une malformation dépendront donc de ce qu'ils sont capables de supporter, par rapport à leur histoire, à leur entourage ou à l'environnement socio-culturel. Le Dr Fonty raconte, par exemple, le cas de parents confrontés à l'annonce du bec de lièvre de leur futur enfant. Alors que la mère serait prête à considérer cette malformation comme mineure, le père, colombien, ne l'accepte pas, pour des raisons culturelles. L'enfant né avec un bec de lièvre est en effet considéré comme responsable d'un destin funeste pour l'entourage. C'est le point de vue du père qui a finalement primé. « Je ne suis pas sûre d'avoir bien fait, avoue le Dr Fonty. Ce qui m'importe, c'est la mère. Où se trouve la limite ? C'est fonction de l'imaginaire de chacun. » Ce qui est sûr, constate-t-il, c'est que la femme ne pense pas à l'anomalie en début de grossesse. « C'est la médecine et la société qui l'y poussent. Au début, l'offre médicale dépasse la demande. »
La chasse à l'anomalie
Pour la mère, les outils de diagnostic (la première échographie est faite dès la 11e semaine d'aménorrhée) sont autant source d'inquiétude que source d'assurances. « De toute façon, j'avais bien l'intention d'utiliser toutes les techniques modernes de dépistage prénatal pour minimiser le risque de mauvaise surprise, raconte une future mère, dans une histoire fictive du Pr Fernand Daffos, obstétricien. A vrai dire, je n'eus même pas à faire de démarche car dès le début de la grossesse, la chasse à l'anomalie était ouverte. Une sage-femme me proposa une analyse sanguine pour savoir si j'avais un risque augmenté d'avoir un enfant trisomique. C'était, pour être sincère, la seule catastrophe que je n'avais pas encore envisagée et je la remerciais vivement d'ajouter ce nouveau sujet d'inquiétude à mes rêveries nocturnes. » C'est sous la forme de nouvelle que le Pr Daffos a choisi de mettre en scène « le catalogue des peurs prénatales ». Un moyen d'évoquer, sans jugement, ce à quoi sont confrontés les médecins et les parents face à une pratique médicale transformée par les nouvelles technologies.
* « Techniques médicales et fantasmes, au nom d'un projet d'enfant parfait », les 27 et 28 janvier, Maison de la chimie, 28, rue Saint-Dominique, 75007 Paris.
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