Pour les membres de l’Institut de Santé, présidé par Frédéric Bizard (ESCP, Sciences Po), il est urgent de faire prospérer une vision macroscopique sur la santé en France et, par suite, de reconstruire notre système sanitaire en totalité. Telle est la conclusion du congrès national (*) transpartisan et interdisciplinaire qui s’est tenu à Paris ce 12 octobre. Explications et « peurs sur la ville ».
La crise la plus grave de notre Histoire.
Le déclin de notre système est lié à son inadaptation au nouvel environnement que, tous, nous connaissons. Les réformes politiques menées ces trois dernières décennies n’ont pas permis de reconstruire à la hauteur des enjeux.
La transition démographique est d’une intensité historique de 2010 à 2040 du fait de la hausse de l’espérance de vie mais aussi de l’arrivée des générations nombreuses d’après-guerre au-delà de 65 ans. Ainsi, la population de plus de 75 ans va augmenter de 6,3 millions en 2020 à 10,7 millions de personnes en 2040, soit une hausse de 70 %. Ce vieillissement condamne tout système de santé centré sur le curatif et impose d’instaurer un modèle assis sur une approche populationnelle et préventive, dit de santé publique.
La transition épidémiologique se traduit par un allongement sensible de la durée du risque, avec une chronicisation croissante des pathologies. La dominance des pathologies chroniques change le paradigme de la prise en charge : instauration d’une médecine de parcours, risque accru de creusement des inégalités sociales de santé et forte pression à la hausse des dépenses de soins. Cette chronicisation du risque implique un pilotage de celui-ci par le besoin (le citoyen patient) et non plus l’offre (le soignant), une approche territoriale des besoins de santé et une démocratie sociale et solidaire active.
La transition technologique résulte de la convergence de plusieurs révolutions technologiques (dont l’internet, l’IA, les nanotechnologies et les biotechnologies) qui génère des gains substantiels en santé à condition de transformer le système actuel et de garantir un accès pour tous à ces technologies. Collectivement, ces révolutions technologiques font de la santé un secteur stratégique pour le pays sur un plan économique, industriel, sociétal et géopolitique (soft power) au XXIe siècle. En cela, la recherche médicale et les industries de santé doivent être sensiblement renforcées pour garantir un haut niveau de santé aux citoyens.
L’inadaptation est telle que seule une réforme systémique et largement partagée par les bénéficiaires et les acteurs de santé répondra à ce défi de la reconstruction. À ces conditions, la capacité de rebond du système pourra être rapide et massive.
Quel nouveau système de santé ?
Selon l’Institut de Santé, le nouveau modèle doit reposer sur trois piliers :
1. La garantie de l’accès à la santé pour tous :
La considération holistique de la santé induira un modèle qui évoluera de l’accès aux soins pour tous à l’accès à la santé globale pour tous. La prise en compte des déterminants non médicaux de santé (déterminants sociaux, économiques, comportementaux, environnementaux…) étendra le champ d’action politique du système de santé et imposera une gestion transversale de la santé sur les plans politique et scientifique. Le centre de gravité du nouveau modèle deviendra le maintien en bonne santé du citoyen, i.e. une approche de santé publique. Ce sera le maintien en bonne santé par excès et le curatif par défaut.
2. L’adaptation aux besoins (de santé globale) :
Le citoyen sera au cœur d’un nouveau modèle géré à partir de ses besoins à l’échelle d’un territoire de santé. Cette approche par les besoins générera une réduction des inégalités sociales de santé et une meilleure considération de la dignité des personnes (liberté de choix y compris des personnes vulnérables). Cela passe par rendre chaque citoyen le plus autonome possible dans la gestion de sa santé, ce qui exige un système solidaire de santé, dit d’autonomie solidaire. L’instauration d’un service public territorial de santé participera à l’instauration de ce dernier.
3. Un modèle de santé démocratique inclusif :
Un système centré sur l’individu nécessitera un processus de démocratisation abouti de la santé, pour la rendre accessible à tous et garantir les droits en santé de chacun. Cela exigera un investissement social en santé dès le plus jeune âge mais aussi une gouvernance démocratique du système avec une participation active des acteurs de santé aux institutions de gouvernance. L’État concevra la stratégie et la politique de santé, assurera la régulation du système mais déléguera la gestion opérationnelle et territoriale du système par délégation de service public aux acteurs du système (sécurité sociale, professionnels de santé, citoyens-patients, collectivités territoriales).
Un modèle de service public rénové
- Le territoire de santé : nouvel horizon pour tout professionnel de santé et pour tout usager ;
- Un contrat thérapeutique pour les patients chroniques remboursés à 100 % ;
- L’aboutissement du virage ambulatoire en ville ;
- L’hôpital public reconstruit à partir de son ancrage territorial et de son rôle pour maximiser l’excellence de la médecine française ;
- L’optimisation de l’autonomie des personnes dépendantes et souffrant de handicap ;
- Une formation des professionnels de santé, secteur d’excellence et droit inaliénable tout au long de l’exercice.
Une refondation de la gouvernance de la santé :
- Une gouvernance politique dédiée à la santé publique (État, Europe) ;
- Une gouvernance des soins unifiée, démocratique et territorialisée (Sécu, DSS) ;
- Pour une gouvernance territoriale de la santé (DSS, CT) ;
- Pour une décentralisation de certaines missions de santé (CT) ;
- Pour une gouvernance des pratiques sanitaires (CNP, CO) ;
- Pour une gouvernance rénovée des produits de santé (État, Europe).
Une nouvelle architecture de financement et de gestion des dépenses de santé
- Un financement solidaire inclusif à assureur unique par prestation ;
- Une régulation des dépenses de santé construite à partir des besoins ;
- Une diversification des modes de paiement et le passage d’une approche volume à une approche valeur ;
- Un compte personnel de prévention.
Depuis des décennies, les gouvernants ont pensé la santé comme un fardeau alors qu’il représente, au moins en partie, un investissement de long terme.
L’exemple explicite, en est fourni par l’actuel président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius (Émission « Si la France savait », LCP 2022) : « Traditionnellement, lorsque qu’un ministre du Budget arrive, le directeur du Budget, personnage considérable, à l’époque c’était Jean Choussat (IGF, ENA, ancien directeur de l’AP-HP, cofondateur de la Fondation des Hôpitaux de Paris), un homme extrêmement compétent, dit au ministre du Budget quel est l’état du pays et quels sont les dossiers prioritaires ; je me souviens très bien, dans ce très grand bureau, sur le bureau lui-même, de style Empire, au décor chargé, un très gros dossier, avec à l’intérieur des chemises et encore à l’intérieur des sous-chemises. Sur la première chemise était inscrit en grosses lettres, majuscules : risques budgétaires, au pluriel. Sur la première sous-chemise, toujours en lettres majuscules, risque numéro un, augmentation de l’allocation aux handicapés. Je me suis dit que ce n’était pas exactement la motivation qui avait prévalu à la préparation du gouvernement. Du point de vue de l’Administration, ce qui prévalait c’était le risque. Nous avons compris. Ensuite, nous avons gouverné ». On rappellera douloureusement que l’État français a demandé – et obtenu – trois moratoires de dix ans pour repousser certains éléments de conformité légale vis-à-vis des personnes handicapées. De quoi être fiers de nous.
Par ailleurs, il est étonnant de vanter l’opportunité et de considérer la santé comme un marché prétendument rentable – pour certains - alors que ce secteur est une des garanties constitutionnelles et une mission de service public solidaire. Un sujet, deux philosophies antagonistes.
Insubmersible on vous dit. À voir.
Alors que notre système, aux dires de l’OMS, est passé du premier rang mondial en 2000 au 15e rang en 2020, que trouver un médecin relève de l’exploit, a fortiori un spécialiste, que les polypathologies chroniques prospèrent chez les seniors, que le cinquième risque – prise en compte de la fin de vie – n’a toujours pas été pensé, que le DMP est bien caché au fond du tiroir de la peu glorieuse petite – mais fournie - histoire des ratés – à 500 millions € quand même -, que Mon Espace Santé ne rencontre guère le succès auprès des patients vraiment concernés, que nous ne mesurons l’efficacité de nos actions qu’en cas de désastre (Orpea, Korian, Anap, SI Samu, Grades, cyberattaques, mineurs placés sous la responsabilité de la conseillère Versini à la Ville de Paris [Zone interdite, 2022], etc.), il est peut-être bien temps de changer d’angle de vue, voire de braquet selon Michel Audiard.
Comme le clamait Francis Blanche, « nous avons le choix de changer le pansement ou de penser le changement ». Sous peine de catastrophe sanitaire, à brève échéance, nous n’avons plus guère de choix.
Mais ne désespérons pas, car nous sommes en France, et en France, un désastre est toujours possible, que nos énarques expliciteront en oubliant de dire qu’ils étaient en responsabilité – « comme on dit rue de l’Université » – quelques années en arrière, fustigeant, vengeurs, les équipes aux manettes. Il est bien convenu que certains osent tout et c’est à cela qu’on les reconnaît. En attendant, vous prendrez bien un iceberg dans votre whisky ? Avec modération.
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