Q UI sont les nomades du nucléaire ? Désignés comme « extérieurs », ces travailleurs interviennent dans le processus de production nucléaire, en sous-traitance, pour assurer la maintenance, le nettoyage et le gardiennage des installations nucléaires de base.
Selon le rapport établi par Annie Thébaud-Mony*, sociologue et directeur de recherche à l'INSERM, les opérations de maintenance sont assurées, à plus de 80 %, par des entreprises sous-traitantes. Chaque année, entre 20 000 et 30 000 travailleurs extérieurs sont directement affectés à des travaux sous rayonnements et, à ce titre, soumis à la surveillance médicale spéciale concernant ce risque. Mais l'identification des conséquences sur la santé des nomades nucléaires de l'ensemble des risques et contraintes subies se heurtent, selon la sociologue, à deux types de difficulté. D'une part, les effets des faibles doses font toujours l'objet de controverses. D'autre part, les informations concernant leur santé sont extrêmement dispersées.
Invisibilité sociale
L'étude statistique des effets sur la santé des conditions de travail et de l'exposition aux rayonnements ionisants impose un préalable : celui de pouvoir retrouver tous les travailleurs exposés et de les suivre dans le temps. Cela ne semble pas une mince affaire. « La précarisation des situations observées engendre également une forte précarisation des recueils d'information sur la santé », constate Annie Thébaud-Mony. L'écart entre la connaissance institutionnelle des problèmes de santé des nomades du nucléaire et « l'ampleur du préjudice collectif attendu du seul fait de l'exposition aux rayonnements ionisants permet de comprendre comment se construit l'invisibilité sociale des effets du travail sous rayonnement ». Pire, explique-t-elle, dans l'organisation structurelle des tâches de maintenance des centrales nucléaires, les règles de suivi professionnel et postprofessionnel, inscrites dans le code du travail, « ne sont pas et ne peuvent pas - semble-t-il - être respectées ». Or, en l'absence de suivi régulier, les atteintes à la santé survenues chez ces travailleurs échappent au regard de ceux « qui ont la responsabilité de les prévenir et de les déclarer en vue d'une réparation du préjudice subi », poursuit-elle.
« Il n'est pas vrai de dire que le suivi sanitaire des nomades du nucléaire n'est pas effectué », nuance le Pr Michel Bourguignon, directeur médical à l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). Grâce à deux décrets du 24 décembre 1999 (en application de la directive européenne 90/641 EURATOM), la mesure et l'analyse en temps réel des doses de rayonnement reçues par l'ensemble des travailleurs du nucléaire sont obligatoires. L'information sur la dose de rayonnement ionisant est fournie par des appareillages électroniques individuels. On parle de dosimètres opérationnels. « EDF est très avancée sur la dosimétrie opérationnelle, assure le Pr Bourguignon. La Cogema et le CEA le sont moins. Mais les procédures se mettent en place progressivement. L'étude d'Annie Thébaud-Mony se fonde sur des données qui sont déjà périmées. Il serait d'ailleurs intéressant de renouveler aujourd'hui ce travail. Car d'authentiques progrès ont été faits depuis. Selon moi, l'évolution est positive », ajoute-t-il.
Depuis 1999, l'OPRI est chargé du suivi sanitaire sur tout le territoire. Un suivi qui concerne aussi bien les travailleurs des installations nucléaires que ceux soumis à un risque de rayonnements au cours d'intervention en zone contrôlée, comme les médecins radiologues, par exemple (« le Quotidien » du 11 janvier 1999). « Le système, qui s'appelle SISERI (système d'information et de surveillance des expositions aux rayonnements ionisants) , est actuellement en construction, commente le Pr Bourguignon. Nous en sommes à l'étape des appels d'offres. Mais il ne sera pas en marche avant 2002. C'est en effet un système très complexe qui fonctionnera via Internet. Il concernera 300 000 personnes et gérera quelque 100 millions de données par an. Ce système crypté d'informations sera consultable en temps réel par les médecins du travail. On ne pouvait pas mettre en place un tel réseau du jour au lendemain. » D'ores et déjà, l'OPRI possède, en consultation, toutes les données de radioprotection concernant l'ensemble des travailleurs d'EDF, nomades ou pas.
* Publié aux éditions INSERM et EDK (Paris, 2000).
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