LE QUOTIDIEN - Le rythme imposé aux joueurs de rugby peut-il être qualifié d'« infernal », comme l'a souligné l'ancien entraîneur du RC Narbonne, expliquant ainsi le dopage dans le milieu du rugby ?
SERGE SIMON -Ce rythme est effectivement infernal. Lors de la dernière Coupe du monde, les internationaux ont pratiquement joué douze mois sur douze. A raison d'au moins un match par semaine, quelquefois deux. Au mois de décembre, il y a eu sept matches en un mois. C'est une catastrophe. Le rugby demande énormément de préparation, mais aussi de récupération, car on se blesse beaucoup. On ne peut pas enchaîner des matches à l'infini sans risquer de sérieux problèmes. Le calendrier du rugby professionnel n'est pas, aujourd'hui, adapté au sport lui-même.
Peut-on tenir de tels rythmes sans se doper ?
Ce genre d'anathème ne sert personne. Pierre Berbizier estime que « les joueurs s'automédicamentent », forcément. S'il a des preuves que le dopage est une réalité dans le rugby, qu'il parle. Dans ce domaine, je me bats depuis longtemps à travers un livre, à travers mon activité hospitalière (1). L'une des bonnes façons d'aborder le problème du dopage consiste à libérer la parole, à écouter les sportifs. Arrêtons de fantasmer, de s'écrier « Tous dopés ! Pas moyen d'y échapper ! » . Tout cela effraie, conduit les gens à prendre des positions réactionnaires, niant l'existence de tout dopage. Or, là comme ailleurs, il existe des prises de produits, condamnables ou pas, licites ou pas. En allumant un feu comme celui-là, on fait entrer tout le monde dans la maison.
Beaucoup de blessures
Comment font les joueurs pour tenir ?
Il y a beaucoup de blessures : quatre à cinq fois plus qu'avant. Les équipes sont donc en sureffectif. Elles tournent maintenant avec 30 à 35 joueurs (pour quinze sur le terrain) pour pallier les blessures. Cependant, les joueurs ont des passages à vide assez longs. Ils ne sont pas au top de leur forme. Si l'on organisait des compétitions avec des périodes beaucoup plus courtes et des plages de récupération beaucoup plus longues, les sportifs seraient au top de leur niveau, le spectacle serait bon et chacun y trouverait son compte.
Il faut donc réorganiser le calendrier.
C'est une des premières choses à faire. Ne serait-ce que pour la cohérence du rugby en général. Nous sommes dans une situation un peu particulière. Deux instances, la Ligue nationale de rugby (LNR) et la Fédération française de rugby (FFR), s'opposent farouchement : chacune veut avoir les prérogatives du rugby professionnel. La Ligue a ces prérogatives, mais la Fédération n'a pas abandonné toute idée de les récupérer. Chacune garde un pied dans la porte, ce qui complique singulièrement les choses. Les internationaux sont extrêmement sollicités par la Fédération. Vous avez par ailleurs le championnat, la Ligue, la Coupe d'Europe, etc. Les joueurs en font les frais.
Un facteur de vulnérabilité
Cette réorganisation des compétitions doit-elle s'accompagner d'un renforcement ou d'un ajustement de l'encadrement médical des équipes ?
Cessons de penser que le sport est un facteur de protection. Plus on fait du sport, plus les risques augmentent. Le sport peut même devenir un facteur de vulnérabilité. Il n'est donc pas idiot de mettre en place, dans la niche sportive, des compétences qui permettent un suivi médical, un accompagnement de la performance. La vie de sportifs intensifs, c'est-à-dire une vie centrée sur le sport, sur le corps, sur la performance, sans parler de la pression médiatique, n'est pas anodine. Jusqu'à présent, personne ne s'est préoccupé de cela, en raison de cette foi de la société dans le sport.
Croyez-vous en l'efficacité du suivi longitudinal qui consiste, depuis deux ans, à contrôler régulièrement les joueurs ?
Ce n'est pas le suivi longitudinal qui va régler le problème du dopage. Pour une raison au moins : dans toute problématique, la répression ne peut être qu'un abord du problème. A moins que vous ne disposiez d'une méthode infaillible pour que rien ne passe au travers. Le suivi est une pièce parmi d'autres. Jérôme Chiotti, ancien champion du monde de VTT en 1996, qui a rendu son maillot de champion du monde après avoir avoué s'être dopé, racontait que, pendant trois ans, il a subi 55 contrôles antidopage et un suivi longitudinal biologique. Il n'a jamais été contrôlé positif, alors qu'il prenait de la testostérone, des amphétamines, de la cortisone, de l'EPO. J'en passe et des meilleures. La répression n'est donc pas la panacée. Il faut deux autres pieds à la prise en charge : la prévention et la diminution des risques.
(1) Auteur de « Paroles de dopés » aux éditions Lattès, il a créé une consultation d'addictologie et de psychopathologie dans le sport (CAPS) au CHU de Bordeaux.
Les accusations de Berbizier
En déclarant à « l'Equipe Magazine » que « le dopage est une réalité dans le Championnat » (de rugby), Pierre Berbizier, ancien entraîneur du XV de France et ancien manager de Narbonne, a semé le trouble au sein des instances dirigeantes du rugby et relancé le débat sur le dopage. « Le dopage,c'est prendre aujourd'hui des produits qui dépassent la créatine et qui permettent de tenir les cadences infernales imposées », accuse Pierre Berbizier, condamnant « une politique de l'autruche » qui « montre du doigt l'hémisphère Sud, alors qu'il faudrait plutôt balayer devant notre porte ». Selon lui, le calendrier des compétitions « crée les conditions du dopage ». Et d'ajouter : « Des joueurs s'automédicamentent. C'est forcé, on leur demande d'être performants douze mois sur douze. »
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