Modalités évolutives
Les éléments de diagnostic et de prise en charge décrits ici s’appliquent à la myasthénie auto-immune (MAI), de loin la plus fréquente. Cette pathologie reste néanmoins une maladie rare, avec une prévalence de 1,5 à 7/10 000 selon les études et deux pics d’incidence, l’un à la troisième décennie (prédominance féminine), l’autre aux sixième et septième décennies (prédominance masculine).
Le diagnostic de myasthénie est aisé, à condition d’y penser.
Cliniquement, la fatigabilité musculaire à l’effort ou au cours de la journée est le signe cardinal. Celle-ci peut être focale (oculaire, bulbaire) ou généralisée. La moitié des patients commencent la maladie par une atteinte oculaire portant sur les muscles oculomoteurs (diplopie fluctuante, avec atteinte préférentielle de l’abduction) et/ou le releveur de la paupière (ptôsis fluctuant). Au cours de l’évolution, 90 % des patients présentent une atteinte oculaire.
La dysphagie, liée à l’atteinte des muscles impliqués dans la mastication et la déglutition, entraîne un risque de fausses routes alimentaires et de pneumopathie de déglutition, cause classique de décompensation aiguë.
L’ensemble des muscles squelettiques peut être intéressé à un moment ou un autre de l’évolution de la MAI, notamment les muscles inspiratoires (diaphragme, muscles intercostaux). L’aggravation en quelques heures ou jours de la faiblesse musculaire constitue la crise myasthénique, dont la gravité est représentée par la dysphagie, source de pneumopathies de déglutition et par l’insuffisance inspiratoire pouvant nécessiter une intubation et une ventilation en urgence.
La survenue d’une crise myasthénique peut être favorisée par un contexte infectieux (80 % des cas), l’introduction d’un médicament contre-indiqué (tableau 2) ou être spontanée.
Cette crise myasthénique doit enfin être distinguée de la crise cholinergique liée à un surdosage en anticholinesthérasiques, qui se manifeste également par une accentuation de la faiblesse musculaire, mais aussi par une hypersialorrhée, une diarrhée et des douleurs abdominales survenant à l’instauration ou à l’augmentation du traitement anticholinestérasique.
Clinique
L’examen recherche des signes de fatigabilité musculaire à l’effort dans le territoire sollicité ou à distance (exemple du ptôsis s’aggravant lors d’efforts de préhension ou au cours de l’examen clinique). La pratique du score myasthénique permet d’avoir un aperçu global de la gravité de la maladie, mais aussi un suivi longitudinal comparatif (tableau 1).
Deux tests cliniques aisés permettent de réunir des arguments supplémentaires en faveur d’un bloc postsynaptique. L’un consiste en une injection sous-cutanée d’un anticholinestérasique d’action rapide, la néostigmine (Prostigmine) ou l’édrophonium (Tensilon), à la recherche d’une régression des symptômes, ressentie par le patient et objectivée à l’examen. Ce test doit être pratiqué sous surveillance médicale et précédé d’une injection d’atropine du fait du risque d’hypotension artérielle et de bradycardie. L’autre, pratiqué chez les patients présentant un ptôsis, recherche une diminution de celui-ci après deux minutes d’application d’un glaçon sur l’oeil. Cette épreuve, inconfortable, n’est guère plus pratiquée.
Enfin, l’interrogatoire et l’examen s’attachent à détecter les signes des pathologies dysimmunitaires fréquemment associées à la MAI (dysthyroïdie [13 % des cas], syndrome de Gougerot-Sjögren, polyarthrite rhumatoïde, anémie de Biermer, pemphigus).
Examens
Ils ont pour objectif de mettre en évidence un bloc postsynaptique, une autoréactivité dirigée contre la JNM et certaines anomalies dysimmunitaires et thymiques associées.
Ainsi, l’électromyogramme (EMG) avec stimulations répétitives à 3 Hz réalisé sur deux nerfs distincts en l’absence de traitement anticholinestérasique recherche un décrément d’au moins 10 % de l’amplitude du potentiel d’action moteur entre la première et la quatrième ou cinquième réponse (figure). Cette technique est plus sensible dans les formes généralisées (de 37 à 100 % selon les études) que dans les formes oculaires pures (de 40 à 48 %). L’EMG en fibre unique permet cependant d’augmenter la sensibilité de l’électrophysiologie (de 97 à 99 % selon le muscle étudié).
Biologiquement, des anticorps antirécepteur de l’acétylcholine (RACh) sont retrouvés dans 80 à 85 % des formes généralisées et dans 50 à 60 % des formes oculaires. La moitié des patients sans anti-RACh ont des anticorps dirigés contre MUSK (Muscle Specific Protein Kinase), protéine de la membrane postsynaptique. Ces formes anti-MUSK ont volontiers une expression bulbaire et sont de traitement plus difficile.
L’hyperplasie thymique et le thymome sont associés à la MAI dans respectivement 60 et 15 % des cas. Un scanner médiastino-thoracique doit donc être pratiqué chez tout patient myasthénique.
Enfin, l’exploration thyroïdienne est systématique (T4, TSH, antithyroglobuline et antithyroperoxydase), les autres explorations dysimmunitaires étant fonction des signes d’appel cliniques.
Prise en charge et traitements
Lorsque le diagnostic de MAI est posé, le patient doit recevoir une carte mentionnant son diagnostic, qui permettra notamment de prendre les précautions anesthésiques nécessaires en cas d’urgence (contre-indication des curares), ainsi que la liste des médicaments contre-indiqués avec les DCI (tableau 2).
Le traitement est double : symptomatique et immunomodulateur.
Le traitement symptomatique repose sur les anticholinesthérasiques, la pyridostigmine (Mestinon) ou l’ambénonium (Mytelase). La dose varie de 3 à 6, voire 8, comprimés par jour répartis en prises régulières. La prise le soir au coucher d’une forme retard de pyridostigmine, disponible en ATU, peut être utile en cas de symptômes importants au lever (dysphagie au petit déjeuner, diplopie, faiblesse musculaire gênant la toilette). L’introduction du traitement est progressive, et la dose est ajustée selon l’efficacité et la tolérance, compte tenu des effets secondaires potentiels, nicotiniques (crampes, fasciculations) et muscariniques (coliques, diarrhée, hypersudation, hypersialorrhée, bradycardie). Ceux-ci sont quasi constants à l’introduction du traitement et le patient doit en être informé.
Le traitement à visée immunologique vient compléter le traitement symptomatique lorsque celui-ci ne suffit plus à maîtriser les symptômes.
Il consiste en première intention en une corticothérapie à forte dose (1 mg/kg/j) visant à obtenir une rémission, suivie d’une décroissance progressive. L’introduction des corticoïdes peut entraîner une aggravation transitoire de la maladie.
L’association d’un immunosuppresseur, classiquement l’azathioprine (Imurel), le mycophénolate mofétil (CellCept) ou la ciclosporine A (Sandimmun, Néoral), permet de réduire les doses et la durée de la corticothérapie chez les patients corticodépendants.
Si la thymectomie ne se discute pas en cas de thymome, elle le reste dans les autres cas de figure. Il est admis qu’elle doit être envisagée dans les formes généralisées à début précoce. En revanche, son indication reste discutée après 50 ans et dans les formes oculaires.
Le traitement de la crise myasthénique repose sur les plasmaphérèses ou les immunoglobulines intraveineuses (Ig IV), d’efficacité comparable et sur le traitement du facteur déclenchant. L’hospitalisation est systématique, soit en service de médecine, soit en réanimation en cas de signes de gravité (insuffisance respiratoire, dysphagie sévère). Ainsi, tout patient admis pour une décompensation doit bénéficier d’une spirométrie rapidement.
Grossesse
Du fait de son épidémiologie, la MAI concerne fréquemment des patientes en âge de procréer et exprimant un désir de grossesse.
Ainsi, il faut noter que l’évolution de la MAI au cours de la grossesse est imprévisible, mais les aggravations sont plutôt rencontrées chez les patientes dont la maladie est d’apparition récente et surviennent le plus souvent au cours du premier trimestre. En outre, l’évolution de la MAI en cours de grossesse ne semble pas influencer le devenir à long terme des patientes. Sur le plan thérapeutique, les anticholinesthérasiques et les corticoïdes ne sont pas associés à un risque accru de malformations foetales, de même que les Ig IV ou les plasmaphérèses. En revanche, il convient de réduire à la posologie minimale efficace les immunosuppresseurs avant de commencer la grossesse.
Au cours de l’accouchement, la voie basse est la méthode de référence et la péridurale n’est pas contre-indiquée, bien au contraire, puisqu’elle permet un moindre recours aux antalgiques systémiques. La programmation de l’accouchement par déclenchement accroît la sécurité par la présence d’une équipe pluridisciplinaire.
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