Les guérisons inexpliquées de Lourdes

L’avenir des miracles en question

Publié le 01/06/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Depuis 1858, année où, selon l’église catholique, la vierge Marie serait apparue à Bernadette Soubirous, on est passé de la médecine de Molière à la thérapie génique, de la nuit au jour, de la préhistoire médicale, sans réels moyens diagnostiques ni thérapeutiques, aux performances de la haute technologie des plateaux techniques, constate le président du CMIL dans un livre de témoignage et d’analyse, « À Lourdes, Dieu touche terre »*. Forcément, les miracles et leurs critères de reconnaissance, aisément validés au XIXe siècle, n’en sortent pas indemnes.

Haute exigence médicale

Planchant sur les premier cas de guérison attribués à l’eau de la grotte, le bon Pr Henri Vergez (1814-1886), pouvait crier sincèrement aux miracles : « J’ai vu de l’eau naturelle (…) toujours la même, produire des effets surnaturels très différents, sans analogie entre eux. Arracher un enfant agonisant à la mort ; rétablir la vue d’un œil insensible à la lumière par suite d’une lésion traumatique profonde ; rendre la plénitude des mouvements à des membres paralysés ; guérir un ulcère chronique, étendu, très rebelle. » Sans les remettre directement en cause, le Pr Michel constate que la discussion de ces guérisons inexpliquées – le mot miracle ne fait pas partie du vocabulaire médical - doit être sérieusement revue et corrigée : « Sommes-nous autorisés à dire, de telle maladie dont les symptômes ont disparu, mais dont nous savons une rechute possible, qu’elle est guérie ?» demande-t-il. Ou bien on limite le mot guérison au rhume et autres pathologies bénignes, ou bien on admet que les longues rémissions de déficits moteurs, de cancers traités sont des guérisons, comme il y incline.

François Bernard Michel se défend de vivre une situation schizophrénique, qui l’écartèlerait entre la rigueur scientifique à l’INSERM ou à l’Académie de médecine (qu’il a présidée) et une activité confessante et irrationnelle à Lourdes. Sous son égide, le CMIL et ses 40 médecins experts passe désormais les dossiers qui lui sont soumis au crible des dernières connaissances scientifiques, évaluant l’effet démontré des thérapeutiques connues dans le monde et « l’effet éventuel d’une intervention surnaturelle ». De quoi déjouer ce que Nietzche appelait « les ruses du vivant », démêlant les lignes de partage entre corps et esprit, biologie et métabiologie, faits de subjectivité, structure mentale et maladie organique, au prix d’une haute exigence médicale.

Le 69e et dernier cas

Bien sûr, il ne nie pas que des guérisons peuvent être spontanées, ni que des maladies de plus en plus fréquentes, neurologiques (SEP) ou digestives (Crohn), évoluent de poussées en rémissions, qui ne sauraient être qualifiées de guérisons. Mais en gage de la rigueur scientifique de son comité, il détaille les 21 années d’expertises internationales qui ont abouti en 2011 à la reconnaissance du 69e et dernier cas de guérison reconnue inexpliquée à Lourdes : une femme de 34 ans qui présentait un phéochromocytome avec des accès hypertensifs qui avaient persisté neuf ans durant et un œdème cérébral décelé par scanner. Vingt-et-un ans de discussion ont permis de vérifier que la thérapeutique médicale s’était soldée dans son cas par un échec et que la guérison était survenue après un bain dans la piscine du sanctuaire, persistant depuis lors.

Pour autant, le signe univoque Lourdes-miracle, n’est pas assuré de résister à l’avenir aux investigations scientifiques, François-Bernard Michel n’en disconvient pas. Et le catholique fervent qu’il est ne s’en montre pas plus désappointé. Mais il a déjà élaboré une nouvelle réforme pour son comité : sa transformation en une université internationale dédiée à la recherche autour des grandes questions de l’éthique médicale de demain. Une telle instance est selon lui indispensable à l’Église pour statuer sur des enjeux bioéthiques de plus en plus complexes et nombreux. Sans délaisser le chantier des miracles, ce comité catholique mondial d’éthique pourrait rendre des expertises sur la base d’exigences scientifiques. Et éclairer mutuellement médecins et responsables d’Églises, en faisant dialoguer la foi et la science.

*Bayard, 160 p., 16 euros

Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du Médecin: 9416