C'EST en prenant connaissance, l'an dernier, du schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) que les membres du conseil économique et social de Haute-Normandie ont décidé de confier à un groupe d'études une radiographie de la santé dans la région.
Le rapport ravageur présenté hier par le Pr Philippe Hecketsweiler (CHU de Rouen) traduit dans un premier temps la « situation sanitaire préoccupante » que connaissent les Normands. Alors qu'au début du XIXe siècle, les habitants de la Seine inférieure figuraient dans le peloton de tête de l'espérance de vie en France, on observe aujourd'hui, correction faite de l'âge et du sexe de la population, une surmortalité de 8 %. La Haute-Normandie se classe dans le dernier tiers des 22 régions de la France métropolitaine. Si on affine les données par secteur sanitaire, on découvre que le bassin d'Evreux enregistre une surmortalité de 13 %, celui du Havre de 15 %. Les causes de décès qui sont anormalement présentes concernent des cancers (voies aérodigestives supérieures, poumon, plèvre, estomac, utérus), la pathologie alcoolique, les cardiopathies ischémiques et les suicides, autant d'affections, souligne le Pr Hecketsweiler, qui sont fortement liées au mode de vie.
Une offre de soins gravement déficitaire
Or, face à ce tableau alarmant, l'offre de soins est gravement déficitaire par rapport à la moyenne nationale, tout comme la consommation de soins, avec des dépenses de santé par habitant de 20 % en dessous de ladite moyenne.
Autre indicateur : les ressources humaines, financières et matérielles des hôpitaux à 2,5 % de la dotation nationale, pour une population qui représente 3 % de la population française.
Tous les chiffres sont à l'avenant. On totalise ainsi 51 gynécologues-obstétriciens quand il en faudrait 141 pour atteindre la moyenne nationale ; la Haute-Normandie est classée, parmi les 22 régions métropolitaines, 19e pour la densité des lits de chirurgie, 21e pour celle des lits de rééducation, et carrément 22e pour les lits de médecine et ceux de psychiatrie.
Une situation délétère qui, si rien n'est fait, est appelée à se dégrader encore, souligne le Pr Hecketsweiler en remarquant que le numerus clausus de sa région est maintenu depuis vingt ans autour de 2,5 % du numerus clausus national, au lieu du chiffre équitable de 3 %. L'insuffisance du nombre de médecins formés est encore aggravée par les déséquilibres observés dans les migrations interrégionales.
Dans ces conditions, pour renverser la vapeur, le rapport commence par demander le renforcement de la capacité de formation régionale, en la portant à un minimum de 3 % des médecins français, ce qui suppose une augmentation très sensible (20 postes au minimum) du nombre de chefs de clinique. Un effort similaire devrait être accompli pour les professions paramédicales, et notamment pour les infirmiers et pour les chirurgiens-dentistes.
Le conseil économique et social haut-normand préconise encore un programme d'aide à l'installation des praticiens dans les bassins de vie défavorisés, notamment dans les zones rurales et les quartiers difficiles.
Sur le plan de l'amélioration de la santé publique, enfin, une mission d'information est demandée pour responsabiliser les citoyens et une politique de prévention axée sur l'environnement (lutte contre la pollution de l'eau et de l'air), sur l'alimentation et sur les comportements addictifs (alcool, tabac, drogue).
En concluant, le président du groupe d'études, Nicolas Plantrou, et son rapporteur, Philippe Hecketsweiler, sans illusion aucune, ne cachent pas leur amertume ni même leur « sentiment de révolte » face à la situation sanitaire de leur région, conséquence, accusent-ils, de « plusieurs décennies de dérive des pouvoirs publics ».
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