De notre correspondante
C ETTE année, l'Association francophone d'étude et de recherche sur les urgences psychiatriques a couplé son congrès avec les 12es Journées de Montperrin organisées par le CHS d'Aix-en-Provence, pour aborder le problème des services d'urgences, face aux précarités et aux exclusions.
Un sujet d'autant plus préoccupant que, pour le Dr Xavier Emmanuelli, directeur du SAMU social de Paris, « l'avenir est sombre, car le phénomène de désaffiliation ne sera plus seulement marginal, mais deviendra un phénomène concernant un grand nombre de gens ».
De son côté, le Dr Francis Peigné souligne : « Les sept à neuf millions de pauvres que compte la France nous interpellent en tant que psychiatres. Aujourd'hui, l'exclusion déborde, parce qu'elle va de pair avec la précarité de l'emploi et que cette société de gagnants et de perdants est très traumatisante pour tous, et plus particulièrement pour les jeunes. »
Ce que d'autres psychiatres expriment en termes moins feutrés : « Le capitalisme débridé a transformé qualitativement la société tout entière dans ses réactions à la souffrance et à l'injustice, car chacun a peur de perdre à son tour. Le lien social ébranlé et la croyance dans la science omnipotente font que l'espace psychique est rétréci, alors que la souffrance psychique est croissante et rend de plus en plus nécessaire l'intervention des psychiatres », estime le Dr Elizabeth Baldo.
D'autres participants ont dénoncé le rôle pathogène de la société qui cherche pourtant à se défausser sur la pathologie mentale : « On veut faire croire que, s'ils sont SDF, c'est parce qu'ils sont malades mentaux. »
Impuissants à résoudre les causes sociales des troubles, les psychiatres ne semblent pas vouloir déserter pour autant, et ont envisagé, deux jours durant, les moyens de prendre en charge cette souffrance. « Aujourd'hui, l'urgence est psycho-sociale et le psychiatre doit donc sortir de sa relation individuelle avec le patient, car des prises en charge plus collectives vont se développer », constate le Dr Peigné.
En estimant qu'il faut « sortir de l'hôpital », certains ont remis en question également la notion de sectorisation psychiatrique. Le Dr Nicole Horassius, psychiatre à Montperrin, a évoqué à ce propos le rejet des structures de secteur par les populations « difficiles » comme celles des quartiers nord de Marseille, alors qu'une vie associative à visée culturelle réussit à s'y développer. « Il faut revoir notre approche », conclut-elle avec d'autres orateurs. Beaucoup ont en effet insisté sur la nécessité de se rapprocher des travailleurs sociaux et même « d'aider les aidants » plutôt que les « malades sociaux » eux-mêmes.
Il n'en reste pas moins que les « douleurs sociales » continuent à affluer aux urgences des hôpitaux psychiatriques et à celles des hôpitaux généraux, lesquels ouvrent d'ailleurs de plus en plus d'antennes psychiatriques au sein de leur service. Beaucoup de ces patients sont amenés par la police uniquement pour des raisons d'ordre public, si les marginaux en question ont l'ivresse bruyante ou s'ils évoluent devant les restaurants chics, comme l'ont constaté les équipes des urgences.
A noter toutefois le problème inverse signalé par des médecins : certaines ambulances refusent de conduire à l'hôpital des personnes dont la saleté les oblige à désinfecter ensuite le véhicule et certains pompiers ont la consigne de ne ramasser les marginaux sur la voie publique que « s'il y a du sang ».
D'autres exclus viennent d'eux-mêmes aux urgences de l'hôpital général parce que cette structure leur convient mieux que les autres lieux d'accueil. Outre la facilité d'accès et la notion de « lieu de transit » qui les rassure, ils trouvent là une « disponibilité tolérante » et la réponse à leurs problèmes de santé.
Mais il faut gérer leur nombre, dans des services déjà saturés. Et résoudre le problème de la continuité de la prise en charge, pourtant chère aux soignants : le manque de lits entraîne le retour à la rue de toutes les pathologies que l'on soigne facilement à domicile, mais ne peuvent que s'aggraver chez un malade vivant dans la rue ou dans un local précaire. Et quand bien même, après avoir remué « ciel et terre », le médecin ou l'assistante sociale parviennent à faire hospitaliser ces patients, leur fugue consécutive semble décourager les bonnes volontés. « Il faut savoir que c'est comme ça ! »... et qu'il est donc indispensable de réfléchir avec tous les intervenants de terrain, y compris les libéraux, à des solutions adaptées. Avec un maître mot : l'articulation entre les différents services, qui ne doivent pas se contenter de se « repasser la patate chaude ».
Le Dr Xavier Emmanuelli : il faut des structures généralistes
Pour le Dr Xavier Emmanuelli qui a créé le SAMU social de Paris en 1993 et préside le réseau Souffrances et Précarité, les soins ne peuvent être donnés qu'à travers « une prise en charge complexe globale qui remet très souvent en question les pratiques institutionnelles et les réponses mal coordonnées entre caritatif, social, médical et psychiatrie ». Aussi plaide-t-il en faveur de « structures généralistes en amont, avec des prolongations en réseau », en multipliant les systèmes mobiles dans la cité, les veilles permanentes et les points d'écoute et d'orientation. Pour lui, il ne faut pas « verticaliser » les problèmes pour avoir des réponses de plus en plus spécialisées, mais lancer des « maillages horizontaux » de plus en plus étendus pour recouvrir les besoins très hétérogènes de ces populations.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature