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Survivre à la vie quotidienne
I LS se sont mis à quatre pour démontrer, sans ennuyer, que « Tout est psy, dans la vie », du moins dans celle de l'homme occidental désormais habitué à l'idée selon laquelle « de l'insu, du caché ...se terre dans les motivations inconscientes de la moindre de nos paroles ou de nos actes ». Aux deux psychiatres, un homme et une femme, le premier résolument psychanalyste, la seconde psychothérapeute, se sont joints deux candides : Jeanine Gabillet est « femme au foyer » et Gabs, dont on a envie d'imaginer qu'il est le mari de Jeanne, est dessinateur humoristique. Pour référence, le collectif annonce « la théorie freudienne de la "Psychopathologie de la vie quotidienne" ».
La lecture psy du monde ainsi proposée nous confirme que, dès le matin, « la confrontation à la réalité est éprouvante pour chacun », que l'érection matinale du « sujet masculin » ne dure « que l'espace d'un instant » et que la frustration est le lot commun des humains. Au fur et à mesure que les heures s'écoulent, les contraintes continuent de s'accumuler sur l'humain civilisé, de la purification par le lavage à la mise en conformité sociale, tant vestimentaire qu'odorante ou alimentaire. Il faut aussi, tôt le matin et tôt dans la vie, quitter le nid familial pour aller « vers l'inquiétante étrangeté de l'Autre », pour se lancer dans une compétition qui, de plus, ne laisse guère le temps de réfléchir aux « impasses de la condition humaine ». Le soir encore, après le travail, le retour vers le clan familial n'est pas forcément de tout repos, tant « la relation à l'Autre » est faite « de haine et d'amour mélangés ». Est-il surprenant, dans ce tableau plutôt castrateur, que la névrose coure les rues et justifie le séjour plus ou moins prolongé chez le psy, de tant d'humains avides de retrouver la capacité « d'aimer et de travailler sans encombre » ?
Pourtant, dans ce petit livre, la théorie freudienne prend des couleurs plutôt réjouissantes. Non seulement parce que les auteurs nous disent tout le bien que nous pouvons tirer des rêves, de la sublimation, des rites en tous genres, des identifications réussies, de la « jouissance des corps » dans les rapports intimes, de l'appartenance à une tribu, du travail magnifié... Non seulement parce qu'ils nous assurent de la capacité du psychanalyste à tirer le meilleur de nos rêves et à nous délivrer du plus lourd de nos entraves. Mais aussi parce que distillée sur les différentes étapes de nos journées les plus ordinaires, la théorie prend le côté rassurant du familier et surtout parce que les dessins de Gabs démontrent que, décidément, le mieux est de rire de notre condition, si cruelle qu'elle puisse être.
« Tout est psy dans la vie ? », Gabs, Didier Lauru, Patricia Berriau, Jeanine Gabillet, Eyrolles, 95 pages, 35 F.
Un domaine en pleine extension
E N quarante ans, expliquent Alain Ehrenberg, sociologue et chercheur au CNRS, et Anne M. Lovell, anthropologue et universitaire, le domaine de « la médecine et de la clinique mentales » s'est étendu au point de balayer « un spectre qui va des schizophrénies... à l'amélioration des performances quotidiennes de chaque individu » et de toucher, au-delà des traditionnelles comme des nouvelles institutions et des médecins spécialisés, les généralistes et les travailleurs sociaux. En outre, « le trouble mental est aujourd'hui une question sociale, politique et médicale qui concerne toutes les institutions (famille, école, entreprise ou religion) ». Il était dès lors logique que l'ouvrage qu'ils ont dirigé prenne pour titre « la Maladie mentale en mutation » et que nombre de disciplines, histoire, philosophie, sociologie, anthropologie, psychiatrie, physiologie, psychanalyse y soient représentées par un ou plusieurs auteurs.
Le sujet pathologique
C'est d'abord « le sujet pathologique », tantôt ancien, tantôt nouveau, qui va être convoqué comme témoin de la mutation effectuée. C'est ainsi que le phénomène de « double personnalité »« apparu » à la fin du siècle dernier comme celui des personnalités multiples qui ont fleuri aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt, respectivement analysés par une philosophe française et par une anthropologue américaine, parlent, plus que d'une réalité nosologique, de la situation de la psychiatrie : cette dernière, aujourd'hui comme hier, semble prise entre la philosophie qui s'interroge sur la personnalité et la conscience humaines, la médecine qui leur cherche un substratum organique, et les problèmes du moment d'une société donnée. L'analyse du sort de la névrose traumatique depuis Freud en passant par la rubrique « stress post-traumatique », celle des délires d'identification propres aux sans domicile fixe, celle d'observations psychiatriques en Indonésie ne font que confirmer ce diagnostic. Un anthropologue canadien montre en effet comment on peut faire du même trouble, celui des vétérans de la guerre du Vietnam par exemple, une réaction normale, une anomalie de la personnalité ou un problème biologique, et comment une telle évolution des mentalités et des pratiques peut être rapprochée de la situation politique et sociale, voire financière, du moment. Et Anne Lovell distingue bien la part de « logique sociale » qui « soutient » les délires d'identification des sans domicile fixe, tout comme l'anthropologue américain Byron J. Good cerne avec soin la place des données culturelles et sociales dans les désordres psychiques actuels observables en Indonésie.
La subjectivité
Si la place donnée aux psychiatres est plus grande quand l'analyse porte, non plus sur les sujets considérés comme pathologiques, mais sur les diagnostics et les traitements psychiatriques, et si les apports du physiologiste, du philosophe et de l'anthropologue ont été sollicités pour tenter de cerner ce mental dont les troubles occupent la psychiatrie, les réflexions diverses soulignent encore la saisissante extension du domaine psy telle que l'ont soulignée en introduction les directeurs de l'ouvrage et les difficultés qui attendent une « éventuelle future clinique » psychiatrique. Et de l'avis des auteurs, il importe d'intensifier l'étude de ce paysage traversé de manière récurrente par la question de la subjectivité.
« La Maladie mentale en mutation », Alain Ehrenberg, Anne M.Lovell, Editions Odile Jacob, 311 pages, 180 F.
Le message d'un malade « guéri »
P EUT-ETRE Xavier Boissaye illustre-t-il bien quelques-unes des transformations de la psychiatrie. Il est assez récent en effet que des malades prennent eux-mêmes la plume pour évoquer leur histoire, activité jusqu'alors réservée à leurs soignants. Il est assez remarquable aussi qu'un malade, étiqueté schizophrène, se dise « guéri ». Certes, Xavier Boissaye ne cache pas qu'il continue de prendre, à doses minimes, des médicaments, mais c'est bien une guérison qu'il évoque, après vingt ans de lutte quotidienne contre la maladie, bien distincte de la période antérieure.
Son message, suivi de quelques pages rédigées par sa compagne et d'un entretien dans lequel son psychiatre répond à quelques questions générales sur la psychiatrie, tend à montrer « qu'il ne faut jamais perdre espoir », à condition de « créer, de se créer les conditions propices à la guérison », et en particulier la constance dans le suivi du traitement médicamenteux et psychothérapique, et « la volonté farouche de s'en sortir ».
« L'Autre face du miroir », de Xavier Boissaye, collection « Les Empêcheurs de Penser en rond » (distribution Seuil).
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