E LISABETH GUIGOU a tenu sa promesse : le « Grenelle de la santé » n'a pas uniquement porté, loin s'en faut, sur les modalités de la maîtrise des dépenses, principal sujet de friction entre les professionnels de santé libéraux et les pouvoirs publics.
Car si la ministre a, d'emblée, rejeté tout moratoire sur le mécanisme actuel de régulation (les lettres clés flottantes), tant qu'un « système alternatif » ne serait pas inventé, elle a accepté de remettre à plat la quasi-totalité des chantiers qui préoccupent les professionnels de santé libéraux. Et elle a déjà pris rendez-vous pour un nouveau « Grenelle », en juin prochain. En attendant, une mission de concertation désignée par le gouvernement devra « faire émerger » des propositions concrètes dans deux directions : la promotion de la qualité (permanence des soins, partage de l'information, évaluation des pratiques) et la rénovation du « contrat » qui lie les soignants à la collectivité et aux caisses (autrement dit, la régulation des dépenses, les missions des professionnels de santé libéraux et le contenu des conventions). Selon « les Echos », ce groupe de personnalités pourrait réunir notamment le Pr Bernard Glorion, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, Christian Babusiaux, magistrat à la Cour des comptes, et Bernard Brunhes, expert des questions sociales et président du conseil de surveillance de Bernard Brunhes Consultants.
« Le Quotidien » analyse ci-dessous les sujets abordés au cours de ce premier « Grenelle » et pour lesquels Elisabeth Guigou a fixé, à chaque fois, le cap à suivre.
La régulation des dépenses
Sur ce dossier brûlant, la ministre a jeté le chaud et le froid. Elle a d'abord refusé de renoncer au système actuel de maîtrise tant qu'un autre dispositif de régulation « efficace » ne serait pas trouvé. Mais elle s'est dite ouverte « à toutes les propositions sans a priori ». Et elle a déjà jugé « très intéressantes » les propositions des caisses d'assurance-maladie en la matière (page 6). « Tous les outils d'une démarche qualité existent déjà », a-t-elle relevé, citant les RMO, les recommandations de bonnes pratiques, les fiches d'information thérapeutiques, les entretiens confraternels, etc. Pour l'instant, donc, le système des « lettres clés flottantes » reste en vigueur, faute de mieux, en quelque sorte.
Le système conventionnel
La ministre a estimé qu'il existait un consensus sur « l'utilité » de la convention. Mais le système actuel, à bout de souffle, doit évoluer. Elisabeth Guigou a rappelé que la loi donne aux conventions un champ d'action très vaste, aujourd'hui peu exploré, en matière d'expérimentation, de coordination des soins, de modes de rémunération, d'amélioration des pratiques professionnelles, etc. « La convention, qui est un instrument porteur d'avenir, ne doit pas que traiter des honoraires », a-t-elle résumé. Elle a également souhaité la mise en uvre d'une « charte de qualité des relations entre les professionnels et les caisses ».
La reconnaissance des missions « hors soins » des professionnels de santé libéraux
Ce thème était primordial dans la mesure où les principaux syndicats de médecins libéraux réclament aujourd'hui que les pouvoirs publics précisent noir sur blanc (et rémunèrent) l'ensemble des tâches non soignantes que les praticiens assument déjà. Elisabeth Guigou, pour la première fois, a pris en compte officiellement cette demande des libéraux. « J'ai bien vu que l'évolution des métiers des professionnels vous préoccupe », a-t-elle dit, en évoquant les missions de santé publique (suivi de population à risque, tenue de registre) ou de sécurité sanitaire et les tâches en liaison avec l'assurance-maladie (informatique, gestion du système de remboursement). « Je suis prête à étudier avec vous les propositions permettant de tenir compte de cette évolution des missions », a-t-elle affirmé.
La démographie médicale et paramédicale
C'est une autre priorité identifiée dans un contexte de déclin démographique général. Le gouvernement attend, d'ici à la fin du mois de mars, les propositions d'un groupe de travail, auquel participe la CNAM, pour assurer une régulation « plus fine » des flux de formation. Elisabeth Guigou a toutefois rappelé les mesures déjà prises : relèvement du numerus clausus, augmentation du nombre de spécialistes formés en anesthésie-réanimation, gynécologie-obstétrique et pédiatrie. Quant aux infirmières, Elisabeth Guigou a reconnu la situation de « pénurie quantitative », malgré la création récente de 8 000 places supplémentaires dans les écoles. Sans préciser, elle a indiqué qu'il faudrait poursuivre cet « effort indispensable tant dans le privé que le public ».
Les compétences médicales
Sur cette question jugée « fondamentale », la ministre s'est contentée de renvoyer aux deux réformes en cours : celle de l'évaluation des pratiques professionnelles (un décret existe, il faut l'appliquer) et celle de la formation médicale continue (attendue dans le cadre de la loi de modernisation sanitaire). Elisabeth Guigou a également confirmé la nécessité pour les praticiens d'avoir des « compétences spécifiques » liées aux actes difficiles ou à risque.
La permanence des soins
Comme l'a demandé MG-France, la ministre souhaite développer dans le cadre de la prise en charge des soins non programmés le partenariat entre médecins libéraux et établissements de santé. « Il convient de réfléchir à la réorganisation du système de gardes libérales, en analysant aussi les conditions de rémunération de ces gardes », a-t-elle précisé. Un discours qui tranche avec celui de Martine Aubry ou de l'Ordre des médecins qui avaient conjointement dénoncé, il y a quelques mois, la démission des généralistes dans le domaine de la permanence des soins. Des groupes de travail sont en cours sur cette question.
Les réseaux
Le gouvernement affirme vouloir aller « au-delà » des réseaux expérimentaux. Outre le cas des urgences, Elisabeth Guigou a cité, de façon un peu surprenante, « la prise en charge des personnes âgées malades ou l'amélioration du suivi des pathologies comme le SIDA ou l'hépatite C ». Elle semble oublier que les réseaux centrés sur les pathologies lourdes sont les plus anciens et, donc, déjà les mieux structurés. La ministre a toutefois indiqué que la coordination des soins devrait être abordée « de façon spécifique » pour les territoires ruraux.
Le partage de l'information
Alors que le corps médical réclame depuis plusieurs années la transmission des données de l'assurance-maladie aux unions régionales de médecins libéraux (la loi de janvier 1994 prévoyait cette transmission, mais le décret d'application n'a jamais été publié), Elisabeth Guigou a fait preuve d'ouverture. « Je pense que des progrès sont possibles rapidement en liaison avec la poursuite de l'informatisation et de la télétransmission. »
La nomenclature, les TIPS
Après avoir mentionné les travaux de longue haleine conduits par la CNAM et la Commission de la nomenclature (hiérarchisation de la liste des actes médicaux), la ministre a déclaré que « ces documents seront prochainement rendus publics ». Un processus de concertation sera alors engagé avec les professionnels concernés afin d'adapter la nomenclature. Par ailleurs, les décrets réformant le système d'évaluation et de tarification des dispositifs médicaux (TIPS) sont « en cours de signature ».
Il y a trois ans déjà, les groupes Stasse
Les syndicats de médecins libéraux gardent un souvenir amer, voire cuisant, de la dernière concertation lancée par un gouvernement avec la profession sur l'avenir de la médecine libérale.
Au début de l'année 1998, Martine Aubry avait en effet annoncé la mise en place de quatre groupes de travail restreints chargés de plancher sur le rôle des unions de médecins libéraux, le mode de régulation des dépenses et de rémunération des médecins, l'informa-
tisation et le partage de l'information et la participation des médecins de ville aux programmes de santé publique.
Avec un objectif unique : définir rapidement des orientations consensuelles afin de renouer les fils d'un dialogue rompu. Ces groupes de travail s'étaient réunis dès mars 1998 sous l'égide de François Stasse, ancien directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Si les syndicats s'étaient d'abord réjouis de la dynamique créée, ces réunions trouvèrent très vite leur limite.
Sur le sujet le plus conflictuel, à savoir le mode de régulation des dépenses de soins de ville, aucun consensus ne fut trouvé. La loi de financement de la Sécurité sociale suivante ne modifia en rien l'esprit du plan Juppé et le malaise des professionnels de santé libéraux ne fit que croître. Rétrospectivement, la CSMF évoqua même
le « traumatisme » des groupes Stasse.
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