S OUVENIR de service militaire d'un généraliste britannique retraité : « Il y a cinquante ans, et probablement plus récemment encore, les médecins recommandaient souvent la nicotine à leurs patients. Et pas seulement les médecins », raconte le Dr Simon Barley dans le « BMJ » (1). Pendant son service national, dans les années cinquante, Simon Barley a travaillé dans un hôpital. « La plupart des patients du service d'orthopédie de Bradford, où j'ai passé six mois, étaient fumeurs ; idem pour le personnel. Un jour, on a amené des urgences un blessé qui avait été amputé à mi-cuisse. Mis dans un lit, il hurlait de douleur, jusqu'à ce que l'infirmière chef revint de son déjeuner. Debout à l'entrée de la salle, elle ordonna : "Donnez une cigarette à cet homme." Quelques secondes après la première bouffée, l'homme était calmé. »
« Peut-on, en l'an 2000, proposer un traitement aussi rapide et aussi efficace ? », se demande le Dr Barley.
Si intéressant soit-il, l'effet antalgique de la nicotine décrit par ce médecin n'est pas une totale nouveauté. On sait en effet depuis 1932 que la nicotine a une certaine action contre la douleur ; et, d'ailleurs, certaines personnes qui souffrent de façon chronique prétendent que les cigarettes les soulagent un peu. Mais il a fallu attendre 1994 pour qu'on explore l'action antalgique de la nicotine. Cette année-là, on a découvert que la peau des grenouilles équatoriales sécrète une substance nicotine-like cent fois plus puissante que la morphine. Mais on a vite compris que cette substance a des effets secondaires fâcheux : élévation de la pression artérielle, paralysies neuro-musculaires, crises convulsives. Et pour cause : les grenouilles ne produisent pas cette substance dans un objectif antalgique, mais pour tuer leurs ennemis. Il fallait donc chercher une molécule ayant les effets antalgiques de cette substance sans en avoir les effets secondaires. C'est ainsi que les Laboratoires Abbott, en collaboration avec une équipe du Neuropharmacology Pain Group de Londres, ont abouti à un composé artificiel appelé ABT-594 qui, chez le rat, possède le même effet antalgique que la morphine, mais ne provoque pas d'addiction, pas de constipation et pas de dépression respiratoire (« Science » du 2 janvier 1998 et « le Quotidien » du 6 janvier 1998).
Plus tard, dans « Nature » du 29 avril 1999, l'équipe du Pr Pierre Changeux (unité de neurobiologie de l'Institut Pasteur, associée au CNRS UA DI1284) annonçait l'identification des sous-unités des récepteurs cérébraux responsables de l'action analgésique de la nicotine (sous-unités alpha 4 et bêta 2). Ces résultats laissaient entrevoir la perspective d'une nouvelle voie thérapeutique, les sous-unités identifiées apparaissant comme des cibles intéressantes pour de futurs antalgiques.
Rappelons, enfin, une observation publiée dans le « Lancet » du 14 octobre 1995 : chez un cancéreux en phase terminale sevré de ses cigarettes depuis vingt-quatre heures est apparu un important état d'agitation, qui a été calmé rapidement par un patch à la nicotine.
(1) « British Medical Journal » du 27 janvier 2001, p. 203.
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