Économistes, sociologues et même psychologues… On ne compte plus les spécialistes de sciences sociales qui ont pris la médecine générale pour terrain d’étude. Pourtant, jusqu’alors, aucun historien ne s’était intéressé à la discipline. Cette lacune devrait être bientôt comblée, grâce à un petit groupe de généralistes, qui s’est attelé à cette tâche. « Il existe des ouvrages sur l’histoire de la médecine, mais rien sur la médecine générale en particulier », explique le Dr Yves Gervais, qui ajoute : « C’est un constat, sans doute révélateur du désintérêt dont elle a longtemps pâti… »
Pour ce généraliste normand, aujourd’hui retraité actif, qui fut longtemps la cheville ouvrière de MG Form, l’idée est venue d’une rencontre avec Jean-Pierre Aubert, professeur de médecine générale à Paris Diderot, doublée d’une réflexion de fond : « Lors de la présentation de l’enquête Demomed, en janvier 2014, sur la démographie en Ile-de-France, nous nous sommes dit que nos jeunes confrères ignoraient sans doute bien des aspects du passé de la discipline. De mon côté, j’avais accumulé un ensemble de textes et de réflexions et hérité d’archives qui interrogeaient sur sa perception longtemps négative dans le monde médical, et renvoyaient à toutes ces difficultés auxquelles la médecine générale s’est heurtée des années durant. » De ce questionnement devait donc naître un défi : rendre à la jeune spécialité ce qui lui était dû, sa mémoire…
Deux femmes et six hommes généralistes-historiens
C’est aussi en acteur, qu’Yves Gervais s’intéresse à l’histoire mouvementée de la profession, car sa chronologie croise les souvenirs de celui qui a vécu ses premières années d’installation à Caen entre 1970 et 1980, « une décade très difficile pour la profession avec perte d’activité et, donc, de revenus?», rappelle-t-il à ceux qui auraient oublié cette époque où la pléthore médicale était un souci… Pour autant, pas question de se lancer seul dans cette aventure. Autour de lui, ils sont une huitaine à se retrouver une fois par mois depuis un an. La plupart sont retraités et parisiens tels Philippe Sopena, Philippe Van Es ou Alain Siary. S’y ajoutent deux femmes – Anne-Marie Magnier et Isabelle de Beco – encore doublement actives au plan universitaire et clinique. Le groupe fonctionne enfin avec Guillaume Coindard, un jeune chef de clinique trentenaire. Tous ont bénéficié des conseils des historiens Patrick Zilbermann et Patrice Pinell avec le soutien moral de Didier Tabuteau, de la chaire santé de Sciences Po.
[[asset:image:9341 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Pour l’instant, le chantier est encore en mode recherche. Les participants s’immergeant dans les archives de l’Omnipraticien Français aujourd’hui disparu ou dans des journaux au passé emblématique de la discipline, Le Concours médical et, bientôt, Le Généraliste. La démarche s’accompagne aussi de rencontres avec les acteurs de cette histoire pas commune : un des pionniers de la formation continue, Pierre Gallois, 88 ans a ainsi reçu deux membres de la petite équipe. Il ne sera pas le seul, puisque nos généralistes-historiens ambitionnent de retrouver pas moins d’une cinquantaine de grands témoins ! Parallèlement, et le mouvement est déjà entamé, de jeunes thésards plancheront sur divers aspects de l'histoire de leur discipline (événements marquants, mode d'exercice, organisations, formation, sociétés savantes…), un champ très riche et, à ce jour, encore peu ou pas exploré.
La machine à remonter le temps
Pour l’heure, la fourmilière accumule et la phase de rédaction paraît encore lointaine. Yves Gervais a commencé à dégager des thématiques à partir d’un premier script. Et s’il est encore trop tôt pour évoquer un plan, il confie que cette « saga » pourrait s’articuler autour de trois axes : un volet institutionnel concernant les syndicats, la convention et des rapports aux pouvoirs publics, un volet formation, de la naissance de la FMC à la médecine générale à la fac et, enfin, un travail sur l’évolution de la pratique.
Mais jusqu’où remonter le temps ? La question du point de départ a visiblement fait débat au sein du groupe. Car la discipline n’est pas si vieille et la « préhistoire » de la médecine générale se confond avec celle de la médecine en général… Pour les uns, il fallait commencer en 1971, date de la première convention nationale, pour d’autres, partir de 1968 avec les premières contestations, pour d’autres encore, remonter aux ordonnances Debré de 1958... « Finalement, il nous a semblé que la question de la place de la médecine générale se posait à partir du début des années 50, comme conséquence du processus de spécialisation?», tranche Yves Gervais. Question de timing encore : le groupe entend laisser du temps au temps. Rendez-vous donc dans au moins deux ans avant toute publication. D’ici là, qui sait, l’histoire de la profession se sera peut-être encore accélérée…
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