Giacometti ou le dessin à l'uvre

Publié le 25/01/2001

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ARTS

par JEAN-JACQUES LEVEQUE

G IACOMETTI n'a cessé de dessiner depuis sa plus tendre enfance, et sous le regard de son père, le peintre Giovanni Giacometti. Sa pratique suit son évolution qui débute par la copie d'antiques, se poursuit par les recherches constructivistes des années vingt, jusqu'aux ultimes et nerveuses concentrations graphiques qui mettent à jour les affres mêmes de leur création.

Pour Giacometti, le dessin est essentiel à la compréhension de sa propre sculpture et à la mise en forme qu'elle ambitionne.
L'ambition « illusoire » de concilier la nécessité de construire une forme et de rendre compte de « la précarité de l'apparition ». D'où son insistance, ses reprises, le caractère batailleur de ses dessins qui annoncent la rage de construire et de détruire tout à la fois, qui détermine l'esprit de sa sculpture.
S'il s'impose comme l'un des plus grands du siècle en cette matière, Giacometti y impose une écriture qui diffère totalement de celle de ses contemporains. Autant Matisse y définit, dans une ample et sûre graphie, la présence sensusalisée du modèle, autant Picasso y expérimente des rythmes, des cadences, des provocations renouvelées, lui tente avec une constance désespérée, de traduire l'instable et le fuyant, le provisoire et le poids de la perte devant la réalité en jouant admirablement sur le blanc de ses fonds, comme l'a si justement noté Jean Genet qui a écrit des pages éblouissantes sur lui.
Ce blanc que le dessin semble ciseler, et le regard affirmé ici qui est bien celui du sculpteur dont l'art consiste aussi à donner un sens à l'environnement.
Scènes de rues, présences, objets en désordre, le monde de Giacometti est celui de la réalité la plus banale, forte autant qu'insaisissable, et qui tient dans les limites de la feuille de papier comme un bout du monde en prison, à peine perceptible parfois, comme une sorte de chuchotement du dessin tel qu'on l'enseigne.
Sa grandeur tient aussi à la sincérité dont il témoigne, offrant, sans fard ni pudeur, le travail même de la création parce qu'il n'est ni une épure ni un « produit fini », mais l'image de l'angoisse du créateur face à ses ambitions, la mission qu'il s'est donnée.

Centre Pompidou. Jusqu'au 9 avril.