P ENDANT trois mois - du 1er janvier dernier au 31 mars prochain -, huit équipes de fécondation in vitro agréées pour le don d'ovocytes (1) ont décidé de suspendre leur activité. D'autres équipes envisagent de rejoindre leur mouvement à partir de février.
« Nous ne voulons pas pénaliser les couples, explique au « Quotidien » le Dr Hélène Letur-Könirsch, coprésidente du GEDO (Groupe d'études du don d'ovocytes, réunissant les centres agréés pour le don). Il s'agit, au contraire, d'avoir les moyens de mieux satisfaire leur désir d'enfant. » « Cette action doit nous permettre, nous l'espérons, de nous faire entendre des pouvoirs publics », ajoute-t-elle.
Six mois de quarantaine
Faisant suite à l'autorisation du don d'ovocytes par la loi bioéthique de 1994, un décret impose, en 1996, la mise en quarantaine par congélation des embryons, issus de don de gamètes, pour un délai de six mois après recueil, afin de contrôler les sérologies VIH, hépatites B et C, CMV des donneuses d'ovocytes. « On applique alors un principe de précaution et cela paraît raisonnable, notent, dans un texte commun, les centres qui viennent de suspendre leur activité. On est en pleine affaire du sang contaminé, plus de 500 victimes. Les responsables scientifiques sont en prison et les acteurs politiques, largement mis en cause par l'opinion publique, sont mis en accusation pour crime d'empoisonnement. » La France est néanmoins le seul pays au monde à s'être dotée d'une telle réglementation en matière de don d'ovocytes.
« Nous sommes dans une situation impossible », constate le Pr René Frydman, pionnier des bébés-éprouvette et chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. Son service, qui réalise, selon lui, « un tiers des dons d'ovules en France », a ainsi suspendu son activité avec les sept équipes du GEDO. Il dénonce aujourd'hui « l'excès du principe de précaution ». « Quatre ans plus tard, nous mesurons toutes les conséquences de la réglementation », reprend-il. En effet, plus de 30 % des embryons ne franchissent pas la barrière de la congélation. Par ailleurs, 30 % des embryons lysent et sont ainsi détruits lors de la décongélation six mois plus tard, et les taux d'implantation sont divisés en moyenne par deux.
Des femmes contraintes d'aller à l'étranger
Le don d'ovocytes, qui s'adresse à toutes les jeunes femmes dont les ovaires ne fonctionnent plus, est un procédé lourd et compliqué à organiser. Les dons sont en diminution et le nombre de couples en attente augmente. Selon des chiffres, communiqués par le ministère de la Santé et le GEDO, le nombre d'enfants nés grâce au don d'ovocytes est passé de 44 en 1996 à 29 en 1997 pour respectivement 176 et 194 donneuses stimulées. « Ce procédé est extrêmement pénible pour les femmes. Il est inéthique de proposer un traitement contraignant à des donneuses volontaires pour un résultat limité », s'emporte le Pr Frydman, déplorant « des résultats français inacceptables ».
D'autant que les pays limitrophes publient des résultats avec des taux de naissance par donneuse atteignant plus de 50 % sans congélation embryonnaire. Chaque année, d'ailleurs, environ 400 femmes françaises vont à l'étranger pour bénéficier d'une service qui ne leur est plus offert sur le territoire national. « Nous bafouons le principe de gratuité en matière de don humain et créons par là-même une inégalité de traitement entre celles qui pourront payer ce déplacement et celles qui ne le peuvent pas », soulignent les centres agréés.
« Nous ne demandons pas l'abrogation de la congélation des embryons, mais la possibilité, pour le couple, d'un choix éclairé entre transfert d'embryons frais et transfert d'embryons congelés », précise le Dr Letur-Könirsch.
Sur un éventuel risque sanitaire, il se montre rassurant : « Les techniques de dépistage s'améliorent avec la possibilité de faire une mesure de la charge virale en quarante-huit heures. » Les huit équipes de fécondation in vitro affirment que « le transfert d'embryons frais, sous couvert d'une sécurité assurée par un contrôle sérologique par PCR quarante-huit heures avant le prélèvement d'ovocytes de la donneuse et dont les résultats seraient disponibles au moment du transfert d'embryons, donnerait au couple le moyen d'obtenir des résultats plus satisfaisants ».
Plusieurs arguments plaident en leur faveur, arguments qu'ils rapportent dans leur lettre commune : « Sur le plan épidémiologique, aucun cas de donneuse d'ovocytes séropositive pour le SIDA n'a jamais été rapporté. Mais, surtout, la démonstration scientifique que le VIH ne peut pas s'intégrer dans le génome de l'ovule, car celui-ci est dépourvu de récepteur, est connu grâce à Baccetti, depuis juin 1999. »
Concrètement, les centres agréés entendent par leur mouvement faire pression sur la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction, saisie depuis deux ans maintenant pour ce problème et qui n'a toujours pas répondu à la demande d'expertise. Ils veulent obtenir une révision du décret de 1996. Il semblerait que le don d'ovocytes soit justement à l'ordre du jour de la prochaine réunion de la commission.
(1) Les équipes du GEDO de Clamart, Clermont-Ferrand , Metz, institut mutualiste Montsouris, Nice, Rennes-la-Sagesse et l'équipe du Pr Frydman à l'hôpital Antoine-Béclère.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature