C ETTE guérilla permanente qui tient lieu de cohabitation n'a pas diminué d'intensité après la salve tirée par le président de la République à l'occasion des cérémonies de vœux pour le nouvel an.
Jacques Chirac vient de soulever le problème, il est vrai plus préoccupant que jamais, de la sécurité, en laissant entendre que le gouvernement tarde à prendre des mesures pour endiguer les assassinats de policiers et de convoyeurs de fonds. Toujours sur la défensive, Lionel Jospin lui fait dire qu'il n'a pas besoin de conseils en la matière.
Ce qui est consternant, c'est qu'il n'y ait plus de dossier, des retraites à la sécurité, en passant par la santé, qui ne soit « électoralisé ». Quand le président et le Premier ministre s'expriment, on ne sait pas si c'est du lard ou du cochon, on ne sait pas s'ils adoptent une posture à l'occasion d'une crise ou s'ils entendent sincèrement y mettre un terme.
Il n'est pas normal, en tout cas, que la délinquance et la criminalité augmentent en France, alors qu'elle diminue dans d'autres pays industrialisés, et que la croissance, avec ses créations d'emplois, devrait écarter bon nombre de jeunes des mauvais chemins. Le plus grave est que les crimes deviennent spectaculaires : non seulement on ne respecte plus l'autorité, depuis les enseignants jusqu'aux policiers, mais on l'agresse parfois spécifiquement. On frappe ou on blesse un professeur un peu sévère ; on tire à vue sur des policiers, alors que, naguère, leur simple apparition avait force de dissuasion.
Ces comportements traduisent une dérive sociale, peut-être liée à la permissivité et au déboulonnage des anciens symboles de l'autorité. Non pas qu'il eût fallu les maintenir coûte que coûte : l'ordre établi a ses propres travers qui n'ont pas du tout disparu, puisqu'un autre souci de la société contemporaine concerne le harcèlement professionnel. Une des voies de la liberté, c'est assurément la réduction des différences hiérarchiques. Mais il y a un monde entre la liberté et l'usage qu'on peut en faire. Beaucoup de délinquants ne font que traduire à leur manière leur insubordination, dans laquelle ils voient confusément la seule manière de nier à l'autre son autorité. Les policiers le disent avec accablement : ils ne font plus peur et sont donc abattus avant même d'avoir choisi la méthode répressive, c'est-à-dire d'avoir dégainé leur arme.
On n'obtiendra pas de résultat immédiat contre le crime si on ne le réprime pas avec toute la sévérité requise. C'est le remède urgent auquel il faut bien se résoudre. Pour déraciner le mal, il n'y a que des actions à long terme et qui relèvent toutes de l'éducation. L'enseignement nourri du civisme est indispensable. On ne peut mieux former les cerveaux les plus jeunes qu'en leur inculquant beaucoup de morale et de sens social, et en faisant la démonstration que la liberté s'arrête là où elle lèse autrui. L'assassin qui a abattu un convoyeur de fonds dans l'enceinte d'un hôpital s'est rendu sur les lieux du crime avec la détermination de tuer celui dont il volait l'argent ; il n'a pas jugé utile ou voulu courir le risque de le menacer. Il a emporté quelque 400 000 F et il a pensé que cette somme, ou même moins, valait bien une vie humaine. Il est donc probable qu'il n'a jamais eu l'occasion d'évaluer la valeur d'une existence, que personne ne l'a fait méditer sur sa façon de voir les choses dans le cas où il aurait été à la place de la victime. On ne peut pas donner une conscience à celui qui n'en a pas, on peut le faire raisonner par analogie.
Cela s'enseigne à l'école. Il n'y a rien de plus durable et de plus déterminant du comportement de l'adulte que ce qu'il a appris quand il était petit. Le fait même que la délinquance apparaisse chez des enfants de plus en plus jeunes suffit à montrer qu'on ne leur a pas inculqué un peu de morale au cours élémentaire ou primaire. Il s'agit d'une discipline aussi importante que la lecture et le calcul ; et pourtant, il n'y pas longtemps, on enseignait tout cela à la fois à des enfants qui n'éprouvaient aucune difficulté à absorber l'ensemble de ces connaissances de base.
Nous conviendrons que le retour à ces principes simples ne suffirait pas à éradiquer la délinquance ou le crime, pour lesquels existent des facteurs plus puissants, comme la pauvreté. Mais l'agression est très souvent la traduction d'une rébellion, et la rébellion trouve toujours une justification. Ceux qui s'insurgent contre l'autorité parentale, policière ou sociale croient se faire justice. Sans savoir qu'ils ripostent par une injustice encore plus grande à celle qui leur est faite.
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