E N se basant sur la théorie du chaos, l'équipe de Michel Le Van Quyen, Jacques Martinerie, Bernard Renault, Michel Baulac et Francisco Varela (laboratoire de neurosciences cognitives et imagerie cérébrale) a cherché à mettre au point une méthode d'enregistrement et de traitement mathématique des données qui pourrait permettre de prévoir les crises d'épilepsie.
La travail s'est d'abord fondé, au cours de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, sur des enregistrements EEG obtenus à partir d'électrodes intracérébrales implantées chez des patients en attente d'une intervention chirurgicale (les électrodes servant à repérer précisément les zones épileptogènes). Les chercheurs ont ainsi montré que, contrairement au cerveau sain dans lequel les neurones sont caractérisés par une activité « chaotique », chez les épileptiques, les cellules nerveuses peuvent, par moments, fonctionner de manière synchrone dans de petites zones du cerveau. Ces phénomènes, qualifiés d'activité électrique « interictale », lorsqu'ils se répètent de manière périodique en un court laps de temps, pourraient induire la crise.
Des « indicateurs non linéaires »
En 1998, l'équipe parisienne a publié, dans « Nature Medicine », un article expliquant qu'il est possible de détecter dans l'activité cérébrale, à partir de capteurs intracérébraux, des « indicateurs non linéaires » qui correspondent au passage progressif d'une phase de chaos à une phase périodique, c'est-à-dire les signes avant-coureurs d'une crise (de 2 à 6 minutes avant les signes cliniques). Mais pour des raisons techniques, liées à la complexité de ce type de mesures, les investigateurs ont, dans un second temps, choisi de mettre en place de nouveaux essais cliniques se basant sur la mesure de l'activité à l'aide d'un test EEG standard au niveau du scalp. Les chercheurs parisiens ont donc procédé à cette nouvelle phase d'investigations en mesurant, chez 18 patients épileptiques (épilepsie temporale réfractaire), l'activité EEG en continu au niveau du scalp accompagnée d'un enregistrement vidéo. Ils ont ainsi recueilli l'activité EEG au cours de 14 crises chez des patients éveillés et de 4 chez des sujets endormis. Pour corréler leurs investigations avec les travaux précédents, les investigateurs ont aussi mesuré concomitamment chez 5 patients l'EEG de surface et l'activité électrique détectée par des électrodes intracérébrales. « Notre travail a permis de montrer que des changements précritiques peuvent être mis en évidence à partir de la mesure de l'activité électrique au niveau de scalp », explique au « Quotidien » le Dr Francisco Varela. Dans 25 des 26 crises, il a existé des changements de l'activité électrique en moyenne 7 minutes avant l'épisode clinique.
Deux hypothèses explicatives
Pour les auteurs, « la présence de signes préi-ctaux soulève la question de la relation entre ces signes électriques et la survenue des crises ». Deux hypothèses ont été développées : soit les changements pré-ictaux seraient liés à un recrutement neuronal, soit l'état pré-ictal ferait partie de la crise proprement dite, correspondant à un état de facilitation qui permettrait aux régions prédéterminées (par augmentation de la susceptibilité) de générer une crise.
Mais comme le rappelle le Dr David Fish (Londres) dans un éditorial, « si ce travail de détection semble très prometteur, les applications cliniques restent encore limitées en l'absence de traitement permettant la prévention immédiate des crises ». Néanmoins, le développement récent des stimulations cérébrales, dont le principe consiste à agir ponctuellement sur des régions interconnectées, et non sur des régions isolées, pourrait trouver une application dans ce contexte. « Différentes cibles anatomiques ont déjà été testées : stimulation cérébelleuse, caudée, thalamique centro-médiane, thalamique antérieure, noyau sous thalamique...) », continue le Dr Varela. Enfin, la détection des signes pré-ictaux pourrait conduire au développement de nouveaux médicaments antiépileptiques locaux ou généraux.
« The Lancet », vol. 357, 20 janvier 2001, pp. 160-161 et 183-188.
La théorie du chaos
Développée au cours des années soixante, la théorie du chaos a permis aux scientifiques d'aborder d'une manière nouvelle des phénomènes complexes (de l'astronomie à la biologie). Le laboratoire des neurosciences cognitives et d'imagerie cérébrale (CNRS, UPR 640) et l'unité d'épileptologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, ont appliqué ces théories mathématiques à la détection des crises d'épilepsie à partir de l'analyse par ordinateur de tracés électroencéphalographiques. Très schématiquement, les études menées par Michel Le Van Quyen, Jacques Martinerie, Bernard Renault, Michel Baulac et Francisco Varela ont permis de montrer que le fonctionnement normal d'un cerveau peut être qualifié de chaotique - chaque neurone fonctionnant pour son propre compte - et que l'apparition d'un rythme périodique ou régulier - signant la synchronisation des groupes neuronaux - est l'annonce d'une crise d'épilepsie.
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