Anne Fagot-Largeault n’est pas une femme de notre époque saturée par les clashs, les invectives. Alors que son dernier livre est une subtile méditation sur le temps, elle se refuse à en adopter les codes. À 82 ans, la professeure honoraire au Collège de France, philosophe et psychiatre, ne hausse jamais la voix, n’affiche aucune certitude. Cette carrière hors norme n’aura rien changé, pas même le regard cerclé par une paire de lunettes, le sourire esquissé rarement rayonnant, orné de cette longue queue-de-cheval nouée par un lien. Comme si la reconnaissance n’avait pas réussi à effacer la tristesse tatouée par les premières années de vie. Dès l’enfance en effet, la modestie, proche de l’effacement, a dicté un parcours où le sommet réservé à quelques élus n’est pas même envisagé. Comment cultiver l’amour de soi au sein d’une famille de six filles et d’un garçon ? Peut-on viser un parcours d’excellence alors qu’on entre bien tard âgée de 7 ans à l’école pour la première fois ? Très vite toutefois, les professeurs repéreront les aptitudes exceptionnelles de cette jeune élève. À Sainte-Marie de Neuilly, première élection ! La directrice, madame Danielou, invitera l’élève Anne à un voyage en Bretagne. Bien plus tard, Georges Canguilhem, le grand penseur de la médecine, envoie une lettre à Anne Fagot-Largeault alors aux États-Unis lui suggérant de revenir en France avec à la clé un poste d’assistante à la faculté de Créteil. « Il était très gentil avec moi », se souvient la professeure alors qu’il a fait et défait de nombreuses carrières. Pourquoi quelques mois plus tard commencer des études de médecine ? « Parce que je m’ennuyais en philosophie », répond aujourd’hui de manière ingénue Anne Fagot- Largeault. Est-ce vraiment la seule raison ? En tout état de cause, Anne Fagot-Largeault sera la seule professeure élue au Collège de France à continuer le lundi ses vacations de psychiatre au service des urgences. À cet engagement au service des malades dans l’anonymat, s’oppose le refus de toute parole publique pour une cause générale. Cela ne serait pas convenable, surtout pour une femme… On ne saura donc rien des idées politiques d’Anne Fargot-Largeault même si ici et là affleurent quelques souvenirs teintés de féminisme prudent : « Je suis seulement la quatrième femme à avoir été professeure au Collège de France. À Normale Sup, les garçons étaient autorisés à entreprendre une thèse. Les filles en revanche étaient incitées à devenir au plus vite professeures de lycée. Je me suis retrouvée professeure de philosophie à Douai. J’avais 52 jeunes filles devant moi. Elles étaient formidables. Toutes, cette année-là, ont réussi leur bac. » Anne Fagot-Largeault a ainsi bâti des murs entre vie publique et privée mais aussi entre philosophie et psychiatrie. La psychiatre s’est à ce jour refusée à publier ses notes. Pourtant reconnaît l’ancien médecin de l’AP-HP, « en psychiatrie, il y a beaucoup de littérature et peu de philosophie. » Où se trouve le maçon pour abattre ce dernier mur ?
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