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LA JOURNALISTE raconte le quotidien de la prison et de l'équipe médico-psychologique dirigée par Christiane de Beaurepaire, psychiatre, qui l'a introduite et guidée dans ce voyage. La dureté du lieu a visiblement dépassé tout ce qu'elle imaginait. Son récit est sobre, sans sensiblerie, mais la simple évocation des petites choses de la réalité carcérale suffit à mesurer la violence omniprésente. Odeurs, promiscuité, bruits, souffrance psychique et misère physique, violence institutionnelle caractérisent ce lieu de détention où vivent près de 2 000 détenus.
Depuis 1986, existent en milieu pénitentiaire des secteurs de psychiatrie (Smpr) dépendant d'un hôpital et employant du personnel hospitalier : 26 en maisons d'arrêt, dont 5 sont en passe de disparaître. Ils ont pour mission d'examiner toute personne nouvellement incarcérée (passage par le Smpr prescrit par la loi comme l'examen médical) et de soigner les détenus souffrant de troubles psychiatriques. Sept mille personnes passent par Fresnes chaque année : 50 % des entrants ont moins de 30 ans, 12 % sont sans domicile fixe, 54 % sans travail, les trois quarts sont célibataires et ont quitté l'école avant 18 ans, 40 % lisent difficilement ou pas du tout, 80 % fument, un tiers se droguent, un tiers ont une consommation excessive d'alcool, 10 % sont polytoxicomanes.
Contenir les fous.
Soignants et surveillants, dont les relations sont pourtant souvent conflictuelles, s'accordent à le dire : plus les années passent et plus il y a de détenus souffrant de troubles mentaux, souvent graves. Bon nombre d'entre eux n'ont rien à faire en prison où leur état s'aggrave ; d'autant moins que la valeur punitive de l'incarcération n'a souvent aucun sens pour eux. Vingt et un pour cent des détenus souffrent de troubles psychotiques, dont 7 % de schizophrénie, 40 % de dépression, 33 % d'anxiété généralisée. Le suicide est sept fois plus fréquent en prison qu'au-dehors et sept fois plus fréquent au mitard qu'en détention ordinaire. Les moyens dont dispose le Smpr sont limités en personnel et en locaux.
Les hôpitaux psychiatriques, dont le nombre de lits et les moyens ne cessent de diminuer, ne peuvent ou ne veulent pas prendre les détenus souffrant de troubles psychiatriques.
Reste, quand un détenu va trop mal, l'unité psychiatrique d'hospitalisation au sein de la prison (UPH), mais ces UPH ne peuvent faire face à tous les besoins, faute, là aussi, de moyens. De plus, ces unités, censées être un lieu d'hospitalisation, dépendent entièrement de la pénitentiaire avec verrouillage des portes par les surveillants et absence de liberté des allées et venues des infirmiers.
Les soins reçus par les détenus malades n'y sont donc pas les mêmes que ceux dont ils bénéficieraient dans un hôpital psychiatrique hors les murs. La prison des femmes n'a pas d'UPH. Pour les détenues trop malades, seul recours : l'hospitalisation d'office (HO) à l'extérieur, difficile à obtenir. A défaut, les agitées sont placées au mitard.
Surveiller et punir.
De plus en plus de fous vont en prison, explique Catherine Herszberg, et la prison rend fou. D'autant plus que les conditions de détention ne cessent de s'aggraver, générant ou intensifiant les pathologies psychiatriques ; les surveillants confirment d'ailleurs leur désarroi, leur impuissance et leur peur de la gestion quotidienne des problèmes psychiatriques. « Il existe quatre catégories de détenus : les dérangés dérangeants, les non-dérangés non dérangeants, les dérangés non dérangeants et les non-dérangés dérangeants », résume un psychologue de la maison d'arrêt. La demande de la pénitentiaire concerne surtout les dérangeants, les autres...
Comment concilier soins et punition et cela avec peu de moyens ? L'équipe psychiatrique est confrontée à ce paradoxe quotidien, qui décourage souvent les mieux intentionnés. Ceux qui restent et se battent quotidiennement acceptent de tolérer des situations indignes pour pouvoir continuer à travailler.
Il y a deux siècles, Pinel faisait sortir les fous du Kremlin-Bicêtre ; aujourd'hui ils sont réinstitutionnalisés mais en prison ! La création des Uhsa (unités hospitalières spécialement aménagées), 19 unités prévues pour 2008, prisons à l'intérieur des hôpitaux, constitueraient pour certains un moindre mal, écrit Catherine Herszberg, mais « son principe rompt avec une évidence séculaire ; les fous ne sont pas punissables (...). La création des Uhsa scellera sans doute la fin de l'irresponsabilité pénale pour des motifs psychiatriques. Et elle ouvrira officiellement la porte à une institution punitive et sécuritaire dans un lieu de soins ». Criminaliser la maladie mentale constitue une régression très grave, souligne l'auteur. Paupérisation des hôpitaux psychiatriques, émergence sociale de groupes de plus en plus pauvres, violence sociale croissante, la réalité carcérale est l'image de ce qui ne fonctionne pas dans notre société vue dans un miroir grossissant. Cette vision devrait nous indigner et nous inquiéter.
« Fresnes, histoires de fous », Catherine Herszberg, Seuil, 188 pages, 16 euros.
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