Par un vent glacial, Gulafruz et Zeinab, sa petite-fille de 3 ans, se rendent à la clinique de Médecins du Monde, logée dans des préfabriqués entre deux stades olympiques transformés en camp de réfugiés.
Quelque 2 100 exilés – en majorité afghans – résident dans cet ancien complexe sportif proche d'Athènes, souvent dans des tentes non chauffées pour l’hiver. Gulafruz, après la mort de sa fille et de son gendre en Afghanistan, s’est armée de courage pour parvenir en Europe avec sa petite-fille il y a huit mois. Mais ses forces s’épuisent. « J’ai des palpitations, je n’arrive pas à manger, j’ai mal aux dents. Mais aujourd’hui, je ne suis pas venue à la clinique pour moi. C’est la petite, elle n’a pas d’appétit. Je m’inquiète », note celle qui prétend n’avoir que 60 ans.
« Un des problèmes que nous rencontrons c’est qu’ils déclarent un âge mais la plupart du temps, il est faux », confie Iro Soudia qui prend les rendez-vous pour les médecins et oriente chaque jour la quarantaine de patients vers le spécialiste adapté. « Il n’est pas toujours évident de comprendre quels sont leurs symptômes. L’aide d’un interprète est indispensable », lance la quinquagénaire en regardant Yasin, qui manie avec aisance le grec et le farsi.
Etat psychique inquiétant
« La moitié des symptômes que nous rencontrons sont d’ordre psychosomatique, en raison du stress lié à l’incertitude de leur avenir. C’est pour cela que d’habitude nous les dirigeons vers le généraliste mais aussi vers le psychologue », explique Iro.
Gulafruz se pose beaucoup de questions : doit-elle rejoindre un foyer comme une ONG le lui a proposé ? « Je n’ose pas quitter le camp car ici, j’ai des personnes qui m’aident, ma nièce, ces médecins », souligne-t-elle. « Gulafruz vient pratiquement tous les deux jours. Ici, contrairement à mon travail précédent à l’hôpital, j’ai un rôle d’accompagnement. Ces réfugiés ont besoin d’avoir notre soutien, d’avoir la sensation que nous nous intéressons à eux, notre travail dépasse juste le médical », commente Areti, l’infirmière de l’équipe composée de 15 personnes dont une psychologue, un assistant social, un généraliste, une infirmière, une secrétaire, une pédiatre et des interprètes.
Deux unités mobiles – gynécologique et dentaire – s’arrêtent également parfois dans le camp. « Compte tenu de ce qu’ils ont traversé, les réfugiés sont plutôt en bon état de santé, par contre leur état psychique est parfois inquiétant », admet Iro Soudia.
« Je veux mourir »
Dans un des conteneurs qui sert de cabinet médical, Martha Arnaotoglou, psychologue, avoue se sentir parfois « impuissante ». « Chaque jour un réfugié vient et me dit : "je veux mourir". Ce phénomène est de plus en plus fréquent. Les mois passent, leur situation ne change pas, ils sont désespérés. Ils ne savent pas s’ils vont rester en Grèce ou s’ils vont être renvoyés dans leur pays… », poursuit la trentenaire.
Pour engager une psychothérapie, il faudrait une certaine stabilité et être dans un environnement propice à la réflexion sur soi. Or, dans les camps de réfugiés, le cadre n’est pas adéquat. « Mes patients sont trop fragiles, il ne faut pas ouvrir des plaies qui seraient trop douloureuses à refermer, explique la psychologue. J’utilise une méthode qui consiste en un soutien dans le quotidien, des conseils pratiques pour lutter contre les insomnies ou gérer le stress aigu. Tu peux juste les aider à la marge mais tu ne peux pas t’occuper de leurs problèmes profonds ».
Pour les cas médicaux les plus lourds, un psychiatre consulte chaque mercredi. MdM travaille aussi avec un dispensaire du centre d’Athènes spécialisé dans le traitement de la torture et des questions liées à l’exil.
Hors des radars
Outre les troubles psychologiques, Iro recense des maladies dermatologiques ou infectieuses, des angines et des symptômes liées aux conditions de vie dans les camps.
Les réfugiés ne se rendent pas toujours compte de la gravité de leur état de santé. « Un adolescent de 17 ans atteint d’une tuberculose ne voulait pas prendre ses médicaments. Nous l’avons cherché partout dans le camp pendant des jours pour les lui donner », raconte Areti. Patience et obstination sont de mise pour les soignants. « Nos patients ne suivent pas toujours les instructions données. Par exemple, tu leur dis de prendre un cachet matin et soir pendant sept jours, et au bout de trois jours ils arrêtent… », se désole le Dr Nikolitsa Koutroumani, pédiatre.
Prendre en compte les conditions de vie des réfugiés est crucial, souligne Nikolista, qui a vécu des expériences dans plusieurs ONG. « Avec les maladies contagieuses, il faut demander aux parents de ne pas laisser sortir les enfants des tentes. Mais souvent ce n’est pas respecté et il leur est difficile de dire aux enfants qui vivent déjà dans des conditions précaires de ne pas aller courir ou jouer avec les autres », remarque-t-elle. Autre souci pour l’équipe de MdM : certains réfugiés ne viennent jamais consulter. Selon Iro, « Ils sont trop déprimés ou ne supportent pas d’attendre pour avoir un rendez-vous, hors de nos radars se trouvent des personnes vulnérables avec de graves problèmes ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature