DEPUIS L’ANNONCE DE RETARDS dans les livraisons d’Airbus A380, plusieurs problèmes se posaient à la direction d’Eads, la maison mère d’Airbus : des erreurs dans la gestion d’Airbus, un conflit au sein de la présidence bicéphale (France-Allemagne) chez Eads, et une question de confiance concernant Noël Forgeard, qui a exercé ses droits d’option sur ses actions Eads, pour un montant d’environ 2,5 millions d’euros, avant l’annonce des retards de livraison, ce qui pourrait constituer un délit d’initié.`
M. Forgeard n’a cessé de dire qu’il était innocent et qu’il a vendu ses parts avant de savoir ce qui se passait à Airbus. La justice tranchera. La vente de ses actions par M. Forgeard a soulevé un ouragan de critiques : en admettant même que le P-DG soit sincère, la transaction apparaît comme un manque total de confiance d’un dirigeant dans sa propre entreprise.
Prouesses et faiblesses.
Mais il ne s’agit là que d’un détail ; le problème qui se pose à l’industrie aéronautique française ne se résume pas à l’éventuelle indélicatesse de l’un de ses dirigeants, mais au fossé apparent entre les prouesses de l’ingénierie et les faiblesses de la gestion. Or il y a longtemps que M. Forgeard dit que le tandem franco-allemand fonctionne mal et qu’il faut unifier la direction pour prendre des décisions plus harmonieuses et plus rapides.
Il est vrai que la France a tendance à s’approprier les projets européens comme les produits du génie national : l’A380 et ses prédécesseurs ont souvent été décrits comme des appareils français, alors qu’ils sont européens. Mais, comme chacun sait, l’unité européenne est plus virtuelle que réelle et on a effectivement constaté chez Eads que les rivalités nationales, compliquées par des chocs entre les egos, sont parfois exacerbées.
L’analyse de Noël Forgeard était donc probablement juste et il aura été une Cassandre victime de ses propres prédictions. Pour plusieurs raisons : même s’il peut prouver qu’il n’a commis aucun délit dans la vente de ses stock-options, l’opinion est indignée contre lui ; ensuite, il lui appartenait de réagir avant d’accepter comme inévitables les deux retards de livraison qui vont nuire gravement à la rentabilité de l’A380 ; enfin, dès lors qu’un conflit l’opposait à son partenaire allemand, le gouvernement a jugé plus sage d’exiger le départ des deux hommes, plutôt que d’ouvrir un conflit avec l’Allemagne.
Pertes et profits ?
Concernant l’A380, il est sans doute trop tard pour réduire le délai de livraison et il faudra sans doute passer le manque à gagner dans les pertes et profits. En revanche, l’arrivée de Louis Gallois à la tête d’Eads est rassurante. M. Gallois a montré dans les crises à répétition de la Sncf qu’il avait des nerfs d’acier. C’est à la fois un gestionnaire qui dénonce des grèves disproportionnées par rapport à la nature de la revendication et un humaniste qui reconnaît le droit de grève et veut éviter à tout prix le conflit. La plupart des syndicats qui l’ont combattu ont d’ailleurs reconnu son talent, tout en admettant qu’il poursuit des objectifs différents des leurs. Il est rare qu’un patron soit encensé par des organisations syndicales. En outre, M. Gallois a dirigé des entreprises aéronautiques ; chez Eads, il sera donc compétent. Son travail consistera à hisser la gestion au niveau d’une technologie particulièrement brillante : nous sommes de grands créateurs mais, décidément, nous ne sommes pas de bons vendeurs.
PAR RAPPORT AUX MILLIERS D'EMPLOIS EN JEU LA QUESTION DES STOCK-OPTIONS EST SECONDAIRE
On a dit, à propos de l’A380, qu’il pose des problèmes d’une extraordinaire complexité, notamment dans le domaine du réseau électrique ; on admettra en outre qu’il y a eu une certaine précipitation dans son lancement, pour des raisons commerciales bien compréhensibles : l’industrie aéronautique européenne est constamment aiguillonnée par Boeing. Il faut vendre avant les Américains si on veut gagner des parts de marché. D’ailleurs, Boeing, qui a également produit un nouvel appareil, le B787 (une merveille d’économie et de technologie), a annoncé aussi un retard dans les livraisons, preuve que la concurrence a poussé les deux grands constructeurs à voir plus grand, ou plus vite, qu’ils ne le pouvaient.
Le fer dans la plaie.
Si la vente de ses actions par Noël Forgeard a fait une mauvaise impression, elle n’est qu’anecdotique par rapport aux milliers d’emplois qu’assure Eads qui, comme toutes les entreprises, doit gagner de l’argent pour survivre. Il était donc impératif et urgent que le fer fût porté dans la plaie. On n’a que de bonnes raisons de penser que Louis Gallois saura remettre Airbus sur la voie du profit et qu’il sera mieux entouré que M. Forgeard, dont l’un des vice-présidents n’était autre que Jean-Louis Gergorin, lequel s’occupait moins des comptes que des comptes des particuliers à l’étranger.
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