I L n'est pas fréquent que des conflits éclatent dans les stations thermales. Tout se passe en règle générale dans la plus parfaite harmonie entre des directions qui ont conscience de leur importance économique au niveau local, des médecins qui travaillent dans des conditions le plus souvent satisfaisantes à tous les points de vue, et des curistes qui repartent de leur séjour très satisfaits. Seule la Sécurité sociale rechigne, parfois, à prendre en charge ces cures et demande régulièrement leur déremboursement, tout aussi régulièrement refusé par les pouvoirs publics.
Deux conflits importants viennent cependant d'éclater dans deux stations réputées : le Mont-Dore et Amélie-les-Bains. Et dans les deux cas, la même société est concernée : la Chaîne thermale du Soleil, qui dirige une vingtaine de stations en France et qui est l'organisation thermale la plus importante. Et dans les deux situations, les conflits ont opposé les directions à des médecins, parfois à des curistes, par l'intermédiaire d'une organisation nouvellement créée, la Fédération française des curistes médicalisés.
A l'origine du conflit au Mont-Dore, la durée des séances des douches nasales gazeuses. Fixées à dix minutes selon la Convention de 1997 qui lie l'assurance-maladie aux chaînes thermales, elles auraient eu tendance, selon la direction de la station, à durer bien plus longtemps, voire vingt minutes. D'où sa décision de facturer deux séances à la charge des patients et de l'assurance-maladie.
Une attitude dénoncée par le président de la fédération des curistes, Jean-Pierre Grouzard, qui parle en l'occurrence « d'intervention inadmissible », et surtout par deux médecins de la station.
Divergences
Le Dr Jean-François Lévenez s'insurge contre la volonté de la direction des thermes d'intervenir sur ses prescriptions et de vouloir raccourcir la durée de ces séances de douches nasales gazeuses. « Il faut savoir, dit-il, que ces séances sont pénibles pour les patients, provoquent souvent des saignements et des maux plus importants. D'où notre volonté de permettre une pause au patient au bout de six minutes de ces séances pour les laisser souffler. » Puis, la séance des soins reprend. C'est cette interruption qui a donc incité la direction de la Chaîne à facturer deux séances, alors que, dans l'esprit du médecin et du curiste, il s'agit d'une seule séance de soins.
Du côté de la direction de la chaîne thermale, à Paris, on nie de telles intentions. « Il n'est pas question, dit-on, de compter deux séances au lieu d'une, mais lorsqu'une des séances de soins dure jusqu'à vingt minutes avec interruption, il s'agit bien de deux séances de soins et non d'une ; il faut donc bien les facturer. »
En fait, c'est le texte même de la convention du thermalisme qui n'est pas interprété de la même façon par les médecins et la direction. Alors que la Convention parle d'une durée minimale des séances, la direction estime qu'il s'agit là d'une durée maximale, ce que contestent les médecins. Ils soulignent que la durée des séances est du ressort de la prescription des médecins, et de leur seule responsabilité.
L'intervention de l'Ordre
Les responsables de la Chaîne thermale, qui parlent de diffamation et affirment qu'ils assigneraient en justice tous ceux qui se feraient l'écho de tels propos, sont d'autant plus remontés contre les deux médecins qui les critiquent (sur les cinq que compte la station thermale) que cette affaire a amené le président du Conseil de l'Ordre, le Pr Bernard Glorion, à écrire au directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie, Gilles Johanet, et au médecin-conseil national, le Dr Hubert Allemand, pour leur faire part de son étonnement devant l'attitude de l'établissement thermal.
Il suggère notamment « dans l'intérêt premier des curistes, que les agissements des établissements thermaux, incompatibles avec la déontologie médicale, puissent avoir une conséquence sur leur conventionnement » avec la Sécurité sociale .
Mission de conciliation
Sans aller jusqu'à cette extrémité, la CNAM a cependant demandé à la caisse primaire de Clermont-Ferrand de suspendre tous les remboursements litigieux. Trois cent vingt-cinq dossiers, représentant une somme de 750 000 F, sont aujourd'hui bloqués par la caisse primaire. « Trois cent vingt-cinq dossiers sur près de 9 000 curistes, il faut quand même relativiser les choses », commente Me Pierre Deltenre, conseil de la Chaîne thermal du Soleil et du Syndicat autonome du thermalisme français.
Tout le monde souhaite que la situation se débloque, surtout avant que la saison commence au Mont-Dore, en mai. C'est dans cet esprit qu'une première réunion a eu lieu à la CNAM le 4 janvier et qu'une nouvelle réunion, prévue le 17 janvier, devrait déboucher sur la mise en place d'une mission de conciliation entre la CNAM, la Chaîne thermale du Soleil et les médecins, conduite par Me Deltenre et le Dr Marty, médecin au conseil national.
« Il faut sortir de cette polémique et faire en sorte que l'assurance-maladie puisse prendre en charge les séances lorsqu'elles dépassent les dix minutes. La négociation sera délicate mais nous arriverons à un accord », estime, pour sa part, Michel Guérard, président du Syndicat du thermalisme français.
« Au bord de la rupture »
La polémique entre ces praticiens et la Chaîne thermale du Soleil ne se résume pas à ce seul point. Les médecins reprochent aussi l'intervention de plus en plus forte des responsables de la Chaîne sur les prescriptions des médecins, leur incitation, disent ceux-ci, à prescrire des soins qui ne sont pas remboursés, l'irruption, parfois intempestive, de certains responsables nationaux de la Chaîne, jusque dans les cabines de soins, comme l'a affirmé une curiste dans un témoignage recueilli par la Fédération française des curistes médicalisés.
A Amélie-les-Bains, autre station phare de la Chaîne thermale du Soleil, les conflits ont également été vifs. Deux médecins sont entrés en « rebellion » contre la direction de la station. « Nous sommes au bord de la rupture », dit le Dr Francis Deprez, président de l'Association des médecins d'Amélie, qui s'insurge contre le fait que la direction incite de plus en plus les médecins à prescrire des soins non remboursés, « même parfois non justifiés ». « Nous ne pouvons l'accepter », ajoute-t-il.
La situation s'est d'autant plus envenimée à Amélie qu'une procédure de licenciement a été engagée contre trois membres du personnel de la station, provoquant un mouvement de solidarité des curistes et de certains médecins. Le personnel dénonce d'ailleurs, lui aussi, la diminution du temps de soins et la pression de la direction sur les agents thermaux.
Mais pour les responsables nationaux de la Chaîne thermale du Soleil, là encore, tout est exagéré. « Nous avons fait d'Amélie-les-Bains l'une des plus grandes stations françaises, avec des soins de qualité, et on ne peut rien nous reprocher à cet égard. » Et de rappeler que la presse « se fait l'écho de la protestation de quatre médecins alors que 210 travaillent avec la Chaîne thermale du Soleil et en sont satisfaits, et que ces protestations se font entendre dans deux stations alors que notre entreprise est présente dans plus de vingt stations. Toute cette affaire est vraiment exagérée ». Ce qui n'est pas une raison pour la taire.
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