LA CHINE n’a pas l’habitude des grandes manifestations populaires, le massacre de Tian’anmen, en 1989, ayant mis fin aux mouvements de foule.
C’est dire si la perspective des jeux Olympiques de Pékin met tout le pays en branle. Il s’agit de faire face, et de se montrer à la hauteur de l’événement. La capitale est en chantier, partout se construisent les routes et se rénovent les bâtiments.
Le système de santé, lui aussi, tente de s’adapter. Aux 12 millions de Pékinois s’ajouteront 250 000 étrangers et 300 000 Chinois pendant les épreuves, en août 2008. Les hôpitaux se préparent pour faire face à cet afflux. Les retards à combler sont importants, particulièrement en ce qui concerne la médecine d’urgence, récente à Pékin – le premier service d’urgences a ouvert en 1983, et l’équivalent du centre 15 (le centre 120), en 1988.
Le choix de la France.
Dès sa nomination pour l’organisation des JO, la Chine a contacté plusieurs pays, en vue de nouer un partenariat de coopération et de formation à la médecine d’urgence. La France l’a finalement emporté, son système sanitaire efficace et bien rodé ayant fait la différence, ainsi que ses diverses expériences – de la Coupe du monde de football, des manifestations, mais aussi des attentats. Les deux pays ont officiellement signé leur partenariat le 12 juin dernier. Depuis plusieurs mois, des médecins chinois viennent donc à Paris se former. Fin 2007, ils seront une trentaine à avoir suivi un stage aux urgences, à la régulation et au Samu. De retour chez eux, ils formeront à leur tour leurs confrères – Pékin compte 300 urgentistes –, en s’inspirant du modèle français.
C’est notamment le cas du Dr Nan Hu, qui travaille aux urgences pré-hospitalières à Pékin. Arrivée à Paris en novembre dernier, la jeune femme occupe un poste équivalent de FFI (faisant fonction d’interne) et apprend aussi bien la réception des appels, la rue, que le travail à l’hôpital. Cinq jours par semaine, elle endosse la tenue du Samu 75, et sillonne la ville aux côtés des praticiens français. En un semestre, elle a déjà beaucoup appris. «Au plan clinique, les prises en charge se ressemblent. L’organisation, en revanche, diffère complètement», explique cette urgentiste de 31 ans.
Traducteur électronique en poche – «Mon français n’est pas parfait!» –, la Chinoise écoute, observe, et va de découverte en découverte. La Sécurité sociale l’épate complètement : «C’est mieux qu’à Pékin, car, avec la carte Vitale, les soins sont délivrés immédiatement, alors qu’en Chine il faut payer d’abord et on n’est remboursé qu’ensuite», explique la Chinoise.
Au Samu, Nan Hu s’étonne de tout. Et notamment du «délai très rapide entre l’arrivée au domicile du patient, l’examen et le geste qui sauve, comme le fait de déboucher les coronaires». A Pékin, les ambulances amènent systématiquement les patients aux urgences. Les médecins à bord, comme Nan Hu, se contentent d’escorter ; jamais ils ne soignent, ni ne posent de diagnostic. En se frottant à la médecine française, le Dr Nan Hu réalise les limites du système de santé chinois. «Chez nous, tout est cloisonné. Les médecins urgentistes n’ont qu’une mission, soit la régulation, soit les urgences préhospitalières avec les déplacements en camion, soit les urgences hospitalières. Les hôpitaux travaillent de façon isolée: souvent, les ambulances déposent un patient mais il n’y a pas de lit disponible pour lui. La régulation marche mal, dit-elle. Le travail en réseaux, pour moi, c’est nouveau.»
A bord du véhicule du Samu, la stagiaire engrange les leçons. Le Dr Nan Hu n’a pas de responsabilité clinique, mais n’en reste pas moins très active. «Je fais les ECG, explique-t-elle, je mets les perfusions, j’intube, je prépare les médicaments et la fiche du patient. J’accumule les expériences de premiers secours.»
Les Français sont-ils conformes à leur réputation, exigeants et pressés d’être soignés vite et bien ? Modèle de politesse, Nan Hu secoue la tête, et contourne la question. «Je trouve l’exercice de la médecine d’urgence plus calme ici. Les gens vivent seuls, ou à deux ou trois. A Pékin, quand on va dans les maisons, les membres de la famille sont nombreux, bruyants, ils posent beaucoup de questions. Le médecin est plus respecté en France», répond-elle.
Une autre Chinoise, en stage aux urgences de la Pitié-Salpêtrière, est venue prêter main forte au Samu 75 la semaine dernière. Elle aussi s’étonne des bienfaits de la Sécu : «En Chine, il m’est arrivé de voir des patients mourir car les familles ont arrêté de payer les soins. Ici, ça n’arrive pas», observe le Dr Chunhui Li, 31 ans.
Au plan médical, les cas rencontrés se ressemblent. Mais les problèmes psychiatriques sont plus fréquents en France, note Chunhui Li. Les maladies cardio-vasculaires aussi : «Les Français sont plus gros», glisse la frêle jeune femme dans un sourire.
Nan Hu et Chunhui Li ont suivi une formation Nrbc (nucléaire, radiologique, biologique, chimique) récemment. Pour la première fois de leur vie, elles ont enfilé une combinaison et un masque. Une expérience précieuse, comme le raconte Chunhui Li : «La France est mieux préparée aux catastrophes. Maintenant, nous aussi, on saura faire. On a appris à soigner les patients traumatisés par un choc, une catastrophe, ce dont la Chine ne s’occupe pas du tout.» Les deux jeunes femmes, à mi-parcours de leur stage parisien, ont déjà des idées pour se préparer aux JO. «Il faudrait créer une vraie régulation, et mettre tous les hôpitaux de Pékin en réseau», suggère Nan Hu .
150 camions de Samu à Pékin, 11 à Paris.
Le tuteur de Nan Hu au Samu de Paris, le Dr François Ek, s’est récemment rendu en Chine. Il confirme les différences d’organisation relevées par les deux Chinoises : «Les Chinois ont un système de santé à l’anglo-saxonne, avec des protocoles rigides et codifiés. Un système onéreux, qui dispense des soins de qualité variable, et qui équivaut au système français des années 1970. La Chine doit apprendre à rationaliser ses moyens. Un exemple: Pékin dispose de 105camions de Samu, dont le tiers n’est pas utilisé. Paris n’en a que 11, cela suffit grâce à la régulation, très efficace. En France, on a un meilleur rapport coût/efficacité.»
Les Samu français sont régulièrement sollicités par d’autres pays pour apporter leur savoir-faire. Dans le cas de cette coopération franco-chinoise, la finalité n’est pas de plaquer le modèle français tel quel à Pékin, mais d’aider les Chinois à améliorer leur organisation en s’inspirant de mesures adaptables. «Cela permet à la France de rayonner à l’étranger, et aux 5000ressortissants français vivant à Pékin d’être mieux pris en charge, explique le Dr Ek, du Samu de Paris .Le système français intéresse pour sa flexibilité, son travail en réseau et la qualité de sa régulation médicale. Nos 105Samu partagent la même philosophie –proposer le plus tôt possible un examen médical, un diagnostic et un traitement–, avec des modalités différentes: ce dispositif est transposable ailleurs, au meilleur coût. Nous formons les Chinois pour qu’ils sachent réagir face à une situation incertaine.» Un échange à double sens, puisqu’en retour les stagiaires chinois transmettent leur savoir- faire technologique très développé. «Ils nous apprennent aussi à gérer de plus grands effectifs», ajoute le Dr Ek . «Et ils nous apportent un regard nouveau sur notre propre système. Alors que notre système de santé est assez critiqué en ce moment, cette approbation est aussi une manière de prouver à nos politiques que ce que nous faisons fonctionne bien, et qu’il nous faut des moyens», conclut l’anesthésiste parisien.
Le modèle social français inspire la Chine
En Chine, se soigner devient un luxe. Les inégalités sont criantes dans ce pays, le plus peuplé au monde, avec 1,3 milliard d’habitants.
En 2005, un paysan atteint d’un cancer s’est suicidé pour dénoncer la difficulté d’accès aux soins pour les pauvres. La moitié des 800 millions de ruraux n’ont pas les moyens de fréquenter les hôpitaux. Ces derniers mois, plusieurs malades ont vu leur admission refusée, faute de pouvoir payer, et sont morts peu après. Finie, l’ère du tout-gratuit : chaque acte médical est payant depuis des années. Et pour se faire rembourser, il faut s’offrir une assurance individuelle privée, onéreuse. Ce qui fait dire aux Chinois que les Français, avec leur Sécurité sociale, sont «plus communistes qu’eux», s’amuse le Dr François Ek, du Samu de Paris. Ayant essuyé deux vagues successives de privatisations, les hôpitaux chinois – qui restent en majorité publics – se livrent à une concurrence acharnée.
Un récent rapport officiel souligne les dysfonctionnements du système actuel, et recommande au gouvernement chinois la prise en charge des dépenses de santé de base. «La Chine revient vers une organisation de type socialiste à l’européenne car son système de prestations sociales est en panne, observe François Ek . La France les intéresse sur le volet social. Un groupe de Chinois est actuellement en stage à Bercy pour étudier notre Sécurité sociale, et voir s’ils peuvent s’en inspirer.»
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature