Classique
Par Olivier Brunel
T RÈS attendue des amateurs de danse, la création à Paris de ces trois pièces, créées en 1967 par le New York City Ballet, sur une idée venue à son fondateur George Balanchine en contemplant les vitrines du joaillier new-yorkais Tiffany a enfin eu lieu. Emeraudes, rubis et diamants évoquent respectivement les univers chorégraphiques de Paris, New York et Saint-Pétersbourg. Leur présentation en une seule fois appelle toutefois quelques remarques.
Premièrement, sur la pertinence d'une soirée entièrement consacrée à Balanchine. Ce triptyque sans argument, conçu pour être dansé en une seule soirée, possède des spécificités musicales (respectivement Fauré, Stravinski et Tchaïkovski) et esthétiques (les styles chorégraphiques français, nord-américain et russe) mais aussi des tics chorégraphiques, des redites, des redondances.
L'il, bien sûr, est distrait par les superbes costumes commandés pour la circonstance au couturier Christian Lacroix : de magnifiques tutus romantiques et pourpoints de velours dans tous les tons de l'émeraude, de petites tuniques brodées plus music-hall dans les rouges du rubis, des tutus droits et raides de tulle blanc emperlé, scintillant pour évoquer le diamant.
Pourtant, hormis pour Rubis qui faisait partie du répertoire du Ballet de l'Opéra de Paris depuis 1974 sous le nom de Capriccio, sur le plan chorégraphique on reste un peu sur sa faim.
Secondement, une telle démonstration de style néoclassique ne mérite-t-elle pas autant de perfection dans ses moments d'épure que dans les tableaux les plus complexes ? On laissera au bénéfice du doute une faiblesse dans ces mouvements d'ensemble, particulièrement dans Diamants, peut-être due aux perturbations liées à la grève.
Aucun doute, hélas, ne planait sur la médiocrité de l'Orchestre Colonne, sous la direction de Paul Connely. Habituellement bon, il a, ce soir-là, fait illusion dans les grandes élégies fauréennes d' Emeraudes (musiques de « Pelléas et Mélisande » et « Shylock ») mais s'est montré tout à fait insuffisant (les vents, les bois...) dans les quatre derniers mouvements de la « Troisième Symphonie » de Tchaïkovski qui sert de support à Diamants. Pour Rubis, la pianiste Christine Lagniel est restée sagement métronomique dans le « Capriccio pour piano et orchestre » de Stravinski.
Les solistes ont été, comme toujours, d'un très haut niveau.
Dans la distribution que nous avons vue, Isabelle Guérin mettait au service d' Emeraudes des ports de bras miraculeux, une légèreté aérienne dans les portées et une technique balanchinienne éprouvée. Nicolas le Riche, qui lui servait de faire valoir dans un rôle qui ne lui demande rien d'éblouissant, évoquait à merveille les langueurs de cette musique fin de siècle et un certain académisme à la française.
Rubis a connu sur cette scène, sous le nom de Capriccio, des soirs meilleurs que cette danse appuyée, mécanique, manquant de swing, de Carole Arbo et Lionel Delanoë. Marie-Agnès Gillot en revanche, avec son allure si déliée, son humour et sa technique impeccable, en relevait le niveau dans un style plus pur, pastichant des déhanchements de la danse jazz des revues de Broadway. Diamants, on l'a dit, un peu perturbé dans les ensembles, montrait un couple stylistiquement parfait, Agnès Letestu et Jean-Guillaume Bart, idéaux dans l'évocation du ballet blanc romantique à la russe avec ses portés sophistiqués et une certaine distance par rapport au propos.
On souhaite cependant revoir bientôt cette soirée qui fera sans aucun doute les délices de tous les amateurs de danse abstraite.
Ballet de l'Opéra de Paris. Opéra-Garnier (08.36.69.78.68). Prochain spectacle : « Paquita ». Chorégraphie de Pierre Lacotte. Du 25 janvier au 3 février.
« La Belle au Bois dormant », par le Ballet du Capitole de Toulouse
Une épure de ballet
S CENE vide, éléments décoratifs en fond façon toile de Jouy, costumes très simplifiés, bref un apparat minimal, c'est ce que l'on retiendra de cette « Belle au Bois dormant » de Tchaïkovski, revue par Michel Rahn et Nanette Glushak, qui entre au répertoire du Ballet du Capitole de Toulouse dont ils sont les directeurs, après avoir été créée à Naples et dansée par les étoiles et le ballet du Teatro San Carlo, avec qui elle est coproduite, en septembre dernier.
Pour un ballet où l'élément décoratif joue un si grand rôle - on y est à la cour d'un roi français lors de deux événements majeurs : le baptême et le mariage cent ans plus tard de la princesse Aurore - on s'attendait à un peu plus que ce que propose le décor de Bruno Schwengl.
Allégée aussi en effectif, cette « Belle » fonctionne avec une trentaine de danseurs, ce qui souvent dans les deux grands tableaux extrêmes, fait un peu pauvre. Les grands moments du ballet sont calqués sur la chorégraphie de Petipa ; beaucoup d'autres sont supprimés (le spectacle dure deux heures) et quelques innovations sont les bienvenues comme l'arrivée de la fée Carabosse au I, très Reine de la Nuit, entourée de créatures méphistophéliques et de gros rats, et les prétendants travestis en princes arabe, indien, autrichien et écossais, ainsi que le numéro du Chat botté transformé en duo au dernier acte. L'ensemble manque souvent un peu de liant au point que l'on a parfois l'impression d'assister aux meilleurs moments de l'histoire.
La première des deux distributions qu'affiche le Capitole permettait de voir un prince Désiré exceptionnel, l'Italien Luca Masala, dont la très longue silhouette est toujours un bon atout et la virtuosité extrême. La princesse Aurore d'Evelyne Spagniol est d'une grande assurance, infaillible dans ses équilibres et ses pirouettes. Carabosse, qui finit dans une cage qui lui tombe du ciel sur la tête, est dansée avec une énergie et une noirceur idéales par Sabine Mouscardes et l'Oiseau bleu, un peu mécaniquement mais efficacement par Xin Zhang. Paola Pagano est une belle et persuasive fée des Lilas et l'ensemble des danseurs comme toujours remarquable.
Dans la fosse, le jeune chef Fayçal Karaoui, chef assistant de l'Orchestre national du Capitole, faisait honneur à une partition écourtée avec beaucoup de grâce et de conviction.
Théâtre du Capitole (05.61.22.24.30). Prochain spectacle, « Rigoletto », de Verdi, mise en scène de Nicolas Joël, direction Marco Armiliato, les 19, 23, 24, 25 et 26 janvier à 20 h 30 ; les 20, 21 et 27 à 15 h.
Création mondiale de « El Niño/La Nativité », de John Adam, au Châtelet
Un crèche à cinq niveaux
P OUR son troisième opéra, le compositeur américain John Adam (né en 1947) fait équipe pour la troisième fois avec le metteur en scène Peter Sellars, qui propose deux heures d'un spectacle qui sollicite l'il et l'oreille sur cinq niveaux.
Depuis « Nixon en Chine », admirable spectacle que l'on a pu voir en 1991 à la MC93 de Bobigny, après sa création américaine en 1987, Peter Sellars, très sollicité dans les théâtres du monde entier, a mis au point un « système » entre opéra et oratorio qu'il utilise beaucoup et à tout propos. Un chur reste sur scène, plutôt statique, et commente l'action en chantant et émettant un langage manuel proche de celui des sourds-muets.
Pour « El Niño », ce chur entourant les solistes fagotés comme des Américains de la rue et de tous les jours (salopettes, jean et débardeur...) évolue dans un décor minimaliste pour ne pas dire inexistant. Au-dessus de la scène est projeté sur un grand écran un film (heureusement muet) tourné en Californie et réalisé par Peter Sellars narrant l'histoire chantée sur scène - la Visitation, l'Annonciation, la Nativité, les Rois mages, Hérode - avec des acteurs latino-américains dans une esthétique alternant entre un quotidien à l'américaine (cuisine, laverie) et le sublime (plages, désert, montagnes). Un troisième niveau de lecture donc, couronné par le surtitrage qu'il faut bien lire puisqu'il est là et que l'on ne comprend pas les chanteurs ni en anglais, ni en espagnol. Ceci tient à un problème d'équilibre entre fosse et plateau, car les solistes : Dawn Upshaw, Lorraine Hunt-Lieberson et Willard White, sont irréprochables.
Le cinquième niveau, la belle musique composée par John Adams sur des textes de poètes aussi divers que Rosario Castellanos, Gabriela Mistral, Hildegard von Bingen, Sor Juana Inés de la Cruz, Rubén Dario, Vincente Huidobro et Martin Luther, des extraits de la Bible et des Evangiles, passe vraiment au dernier plan. Son système répétitif systématique a laissé place à un flux plus contrasté, les mélodies lyriques, harmonieuses, sont comme toujours très bien composées pour la voix, et les climats sont très contrastés. Mais, l'oreille est plus paresseuse que l'il. On attendra l'enregistrement réalisé par Nonesuch/Warner ou une reprise sous forme d'oratorio, le premier projet de John Adams, pour en profiter d'avantage. Quant à Sellars, on doute que son « système » ne résiste longtemps au temps qui passe.
Châtelet (01.40.28.28.40). Prochain spectacle lyrique : « La Femme silencieuse ». Opéra-comique de R. Strauss. Direction : Christoph von Dohn[135]nyi. Mise en scènE : Marco Arturo Marelli. Avec Natalie Dessay et Günter Missenhardt. Les 24 et 27 février, 2, 5 et 8 mars à 19 h 30 ; le 11 mars à 16 h. Prix des places : de 70 à 670 F.
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