G ENET, dès 1966, parlait de « déflagration poétique ». Nul, mieux que lui, ne savait, et pour jamais, ce dont il était question dans « les Paravents ». Du temps de la création ne sont restés en mémoire que les assauts agressifs de ceux qui n'allaient au théâtre que pour lancer des fumigènes. Or, la plupart des observateurs, déjà, avaient compris ce qui se jouait dans « les Paravents ».
Pas de surprise, donc, aujourd'hui, à entendre cette grande pièce baroque et dissipée, pleine de blancs, d'ellipses, d'esquives narratives. Mais la manière dont Bernard Bloch et son équipe l'abordent, la re-présentent, a quelque chose de la lumineuse simplicité de l'enfance d'une uvre.
Une histoire se raconte, qui saisit l'auditoire malgré quelques lourdes décisions - comme cette musique de Philippe Hersant qui rabat Genet du côté de Brecht, bizarrement -, comme ces costumes, guenilles théâtrales pour la Mère, apparat pour d'autres, opérette pour les soldats - une manière de les adoucir, attention. Et un dispositif scénique élégant non exempt de coquetteries (Jean Bauer), avec ce cercle qu'on ouvre et ferme comme les improbables parenthèses d'un texte qui fuse de toute part et dont Bernard Bloch a éprouvé le besoin de faire entendre les didascalies, ce qui revient à l'élégant et tendu Pascal Bongard, très aigu dans le jeu, la présence. A l'acteur, la responsabilité principale, et nul ne peut être insensible à l'incandescente puissance de Christine Fersen, la Mère, autant dire le fil de cette histoire, qui, d'une voix qui subjugue, impose la férocité comme la fantaisie, la mobilité, l'ironie, la magnifique intelligence que Genet donne à ses personnages. Car ils sont tous ainsi, morts comme vifs et vivants comme appelés à mourir - un paravent, une fine membrane les sépare. Mais « les Paravents », le texte, ne raconte rien d'autre que cette éternelle co-présence des morts aux vivants et réciproquement.
On louera donc la ferveur et la grâce de Marie Cariès, Leïla, et de Lyazid Khimoun, Saïd, les deux qui veulent échapper à la règle. On saluera la fermeté de Michèle Gleizer, Warda, ou de Michèle Oppenot, Kadidja, qui entretient avec le poème une longue complicité. On remarquera Pascal Elso, intense, Jacques Pieiller, Jonathan Kerr et Jacques Maeder, souples dans le sarcasme. Bref, et on ne les cite pas tous, mais on honore une troupe, l'unisson certain d'une manière musicale et tendre de saisir la langue de Genet et ce poème dramatique discordant qui célèbre le théâtre même, c'est-à-dire la mort.
Théâtre de Nanterre-Amandiers, jusqu'au 4 février, à 20 h 30 du mardi au samedi, dimanche à 15 h 30. Durée : 3 h 40 avec entracte (01.46.14.70.00). Rencontres avec l'équipe artistique à l'issue des représentations du dimanche 21 janvier (avec Albert Dichy, responsable des archives Genet, et Michel Corvin, professeur honoraire) et du dimanche 28 janvier avec Madeleine Rébérioux et François Regnault. Cahier dramaturgique, en vente, 20 F, au théâtre.
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