PIONNIER de la recherche sur le tabac et la dépendance tabagique, le Pr Robert Molimard a été le premier à créer un enseignement universitaire sur ces thèmes. Il a forgé le concept et le terme de tabacologie, tout en formant des centaines de médecins à cette discipline. A côté de nombreux ouvrages scientifiques, il a publié « la Fume », ouvrage à l’usage du grand public qui dit tout sur le tabac. Plus spécialement destiné au fumeur en mal d’arrêt, son nouveau livre, « Petit Manuel de défume », est paru il y a quelques jours*.
Installé dans un pavillon du centre hospitalier spécialisé de Villejuif, le Pr Molimard y organise souvent de petits séminaires à l’intention des fumeurs, en rappelant que la désintoxication, ou plutôt la libération du tabac, va bien au-delà de l’ «arrêt», terme qui fait peur, comme une sentence. «Le fumeur est confronté à deux peurs, explique-t-il. D’abord celle de la menace, lointaine et aléatoire, de tomber gravement malade, et ensuite la peur immédiate de l’arrêt, perçu comme une épreuve insurmontable.» Cette peur de l’arrêt est telle qu’elle pousse beaucoup de fumeurs à continuer, et il est donc indispensable de la désamorcer. Ensuite, il faudra entreprendre un processus à la fois physique et mental qui, à terme, permettra au fumeur de se débarrasser facilement de sa cigarette, tout simplement parce qu’il n’en aura plus besoin. En effet, tel un « doudou » d’enfant, le tabac ne «s’arrête» pas, mais s’abandonne, comme le jouet adoré est délaissé un jour au profit d’autres objets ou activités.
Le processus de «défume», comme l’appelle le Pr Molimard, vise à modifier la manière dont le fumeur voit le tabac, pour le rendre inutile et superflu. Selon lui, il n’y a pas d’ «échecs» de l’arrêt du tabac, mais des tentatives désespérées de «contrôler l’incontrôlable». On arrête quand on a compris que ces arrêts avortés ne sont que des étapes, peut-être nécessaires, avant de découvrir que la seule solution est l’abandon du tabac, explique-t-il. Le but est de devenir un ex-fumeur, qui a «réglé ses comptes avec le tabac». Celui qui garde un espoir secret de contrôler sa consommation à un niveau qu’il juge «raisonnable» n’est encore qu’un «stoppeur», qui s’épuise à lutter contre lui-même et reprendra peut-être un jour. Un ex-fumeur, à l’inverse, ne reprend jamais.
La dépendance n’explique pas tout.
C’est en tentant vainement de rendre des rats dépendants de la nicotine que le Pr Molimard a commencé à étudier les effets de cette substance, avant de découvrir que, si elle installe la dépendance et l’entretient, elle n’explique pas à elle seule le comportement du fumeur et son besoin de fumer. Certes, il est possible, par des artifices, d’amener des rats à s’injecter de la nicotine, avec un cycle de « manque-satiété-manque ». Mais des expériences ont montré que la nicotine seule ne suffit pas à installer une dépendance. Celle-ci est souvent liée à la combinaison avec une autre activité perçue comme ludique ou plaisante. Si cette autre activité disparaît, l’intérêt pour la nicotine pure baisse très rapidement. Alors qu’un héroïnomane ou un cocaïnomane serait prêt à tout pour trouver son produit pur, aucun fumeur ne va acheter un litre de nicotine pure – que l’on trouve aisément dans le commerce –, litre qui lui donnerait, pour 400 euros environ, l’équivalent en nicotine de ce qu’apportent un million de cigarettes, soit… deux paquets de cigarettes par jour pendant soixante ans !
Le tabagisme est infiniment plus complexe que la seule dépendance à la nicotine. Il semble, selon le Pr Molimard, que la nicotine aide, au début du tabagisme, à fixer des comportements dans le cerveau, qui va se mettre à les exécuter d’une manière réflexe : cela devient «la cigarette du réveil», «la cigarette du café», etc., le fumeur cherchant de plus à retrouver les «bonnes cigarettes» par rapport aux autres, perçues comme plus «machinales». La défume passe par une «déprogrammation» du «cerveau robot» qui a intégré le besoin de tabac au même titre que le besoin d’eau ou de repas. La défume implique aussi d’autres éléments : il s’agit moins de volonté rationnelle, qui n’a sur tout automatisme, et fumer en est un, qu’une action temporaire, que de désir, qui est la «volonté du coeur», dit le spécialiste. Sans ce désir, il n’y a aucun abandon du tabac possible. Petit à petit, la liberté de fumer devient la liberté de ne pas réactiver le besoin de tabac, un processus qui passe par l’acquisition de nouveaux automatismes. De même que le cerveau a été programmé pour fumer, il va se reprogrammer pour se désintéresser du tabac, jusqu’à le rendre parfaitement inutile. Faire croire au fumeur que la volonté suffit, poursuit-il, c’est culpabiliser le fumeur qui constate son impuissance.
Accompagnement psychologique et médical.
La défume est d’autant plus simple que le fumeur parvient à dissocier le tabac du moment agréable ou du moment de stress qui le faisait fumer. La pause-café, après quelque temps, devient aussi agréable sans tabac qu’avec. Le danger de la reprise réside souvent dans la survenue d’un événement imprévu, qui va réactiver l’envie : la reprise, plutôt que la «rechute», est alors la preuve que le processus d’abandon n’était pas entièrement achevé. Mais, petit à petit, le tabac autrefois vu comme vital perd de sa nécessité, et «tombe» comme un fruit mûr, permettant enfin à l’ex- fumeur de commencer une nouvelle vie. Aujourd’hui, de nombreux substituts viennent en aide aux fumeurs, mais, estime le Pr Molimard, s’ils peuvent les aider à passer le cap aigu de la désintoxication physique des premiers jours, étape nécessaire comme pour toute drogue, ils ne répondent qu’au besoin de nicotine, qui n’est qu’un aspect de la fumée. Les substituts ne peuvent se concevoir, selon lui, sans un accompagnement psychologique et médical sur le long terme, jusqu’à la fin du processus de défume. Pour le Pr Molimard, beaucoup de médecins, insuffisamment formés à ces réalités, se contentent d’un discours culpabilisant, parfaitement contre-productif. De même, il émet des doutes sur les politiques actuelles contre le tabac, soulignant, par exemple, que l’interdiction de vente aux moins de 16 ans «risque surtout d’encourager leur curiosité et de les pousser à essayer» : l’industrie du tabac, comme la cigarette elle-même, a plus d’un tour dans son sac pour gagner ou regagner de nouveaux adeptes. La vraie victoire sur le tabac, conclut-il, c’est de le délaisser parce qu’on n’en a plus ni envie ni besoin, et cet abandon passe aussi par le désintérêt.
* « La Fume » (264 pages, 21 euros) et « Petit Manuel de défume » (144 pages, 11 euros), éditions Sides (www.editionsides.com ou 01.48.75 .17.17).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature