PRATIQUE
Les patients dénutris
Les relations entre dénutrition et risque infectieux, entre dénutrition et cicatrisation cutanée dans les brûlures ou les plaies comme les escarres, sont bien établies et incitent à considérer l'apport nutritionnel comme un traitement à part entière.
Les malades dénutris ont plus de risque de développer des escarres qui apparaissent d'autant plus vite et sont d'autant plus difficiles à traiter qu'il existe une dénutrition associée.
Fuite protéique, hypercatabolisme
On sait que les plaies aggravent le statut nutritionnel. Cette aggravation est la conséquence d'une fuite protéique locale qui peut représenter jusqu'à 30 g de protéines par jour (la ration protéique classique varie selon les personnes entre 50 et 100 g/jour, près de la moitié des protéines peut fuir en cas de plaies importantes), et du syndrome inflammatoire local à la base des processus de cicatrisation, mais qui va aussi augmenter les besoins nutritionnel des sujets.
L'hypercatabolisme, déclenché lors de toute agression (infection, destruction tissulaire...), met en jeu des mécanismes d'activation dont une hyperstimulation des macrophages et des monocytes qui participent à la libération de cytokines (interleukines 1 et 6 et Tumor Necrosis Factor). Ces cytokines stimulent des cellules effectrices (lymphocytes et/ou phagocytes, fibroblastes) et entraînent des modifications métaboliques pour fournir des nutriments permettant de lutter contre cette agression (acides aminés provenant des muscles, acides gras, glucose, calcium). « Il y aura donc des problèmes de protéolyse, de lipolyse, d'hyperglycémie par diminution d'insuline, de fuite osseuse, d'hypercalcémie, une augmentation de la synthèse des protéines de l'inflammation, et toute une réorganisation métabolique qui peut être évaluée en dosant des protéines sériques », explique le Pr Bruno Lesourd.
Rompre le cercle vicieux
Chez les sujets déjà fragilisés par une insuffisance d'apports alimentaires, la correction de la malnutrition est indispensable pour rompre le cercle vicieux de l'hypercatabolisme local, aggravant la dénutrition préexistante et le déficit protéino-énergétique responsables d'un déficit immunitaire avec ses conséquences : augmentation du risque infectieux, retard de cicatrisation.
De 1,5 à 1,8 fois le métabolisme de base
La stratégie thérapeutique nutritionnelle passe par des objectifs quantitatifs et qualitatifs régulièrement réévalués.
La dépense énergétique doit être compensée à la hauteur de 1,5 à 1,8 fois le métabolisme de base mesuré ou calculé en utilisant les équations les plus connues que sont les équations d'Harris et Benedict*, qui permettent d'évaluer la dépense énergétique en fonction de la taille, du poids et de l'âge des sujets.
Pour obtenir une bonne cicatrisation, cette compensation devra être adaptée à l'intensité du syndrome inflammatoire : si le syndrome inflammatoire est modéré, elle sera de 1,5 fois la dépense énergétique calculée ; s'il est plus intense, elle atteindra jusqu'à 1,8 fois cette dépense. Cela représente des apports caloriques importants : de l'ordre de 37,5 à 45 kcal/kg/jour avec 1,2 à 1,8 g de protéine/kg, soit un rapport calorico-azoté de 100 kcal par gramme d'azote.
Fractionner et tenir compte des goûts
En pratique, la meilleure façon de lutter contre la dénutrition, c'est d'abord de stimuler la prise alimentaire en fractionnant les repas, en augmentant la valeur calorique des aliments tout en tenant compte des goûts ; si cela ne suffit pas, le recours aux compléments oraux, voire aux compléments administrés par voie entérale ou parentérale est nécessaire.
Protides et hydrates de carbone
Au plan qualitatif, les protides et les hydrates de carbone sont les nutriments énergétiques les plus importants dans le traitement des plaies. L'apport protéique doit représenter de 14 à 20 % de l'apport énergétique total, l'apport en hydrates de carbones doit être de l'ordre de 50 à 60 % des calories.
Des questions
Plusieurs questions se posent. Faut-il apporter des acides gras de type oméga-3, composants susceptibles de diminuer le catabolisme local et de favoriser la cicatrisation ? A-t-on toujours besoin d'un apport supplémentaire en acides aminés (méthionine, cystéine, arginine qui sont des précurseurs du collagène, glutamine qui favorise la synthèse protéique), en oligo-éléments comme le zinc, en vitamines (vitamine A, C et E) ?
Certains compléments nutritionnels composés de nutriments spécifiques (acides aminés seuls ou associés à des oligo-éléments, des vitamines, ou à des acides gras de type oméga-3) administrés soit per os, soit par voie entérale, ont fait la preuve de leur efficacité chez les brûlés et en chirurgie dans la renutrition pré et postopératoire.
Surveillance régulière
La prise en charge nutritionnelle s'accompagne d'une surveillance régulière : calcul des ingestats, surveillance du poids, de l'indice de masse corporelle, évolution des constantes nutritionnelles (albumine sérique toutes les trois semaines, pré-albumine tous les huit jours, C-réactive-protéine), des électrolytes, évolution de la plaie.
5e conférence nationale des Plaies et cicatrisation (Prévention et traitements). Table ronde à laquelle participaient le Pr B. Lesourd (Clermont-Ferrand), les Drs A. Raynaud (Ivry-sur-Seine) et C. Szekely (Sevran) et N. Rosiod (Diététicienne, Ivry-sur-Seine).
* Equations d'Harris et Benedict
Homme : 66,423 + 13,7516 x poids en Kg + 5,033 x Hauteur en cm - 6,7750 x âge en années
Femme : 655,0955 + 9,6593 x poids en Kg + 1,849 x Hauteur en cm - 4,67556 x âge en années.
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