Les médecins sont des acteurs clefs du repérage des violences sexuelles faites aux enfants, et plus largement de la prise en charge des victimes, affirme la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Installée en mars 2021 après l'onde de choc du livre « La Familia Grande » écrit par Camille Kouchner, elle publie ce 31 mars une vingtaine de recommandations préliminaires et rapidement applicables. Parce que la « protection des enfants n'attend pas ».
L'ampleur du fléau est immense : quelque 5,5 millions de femmes et d'hommes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, selon l'enquête en population générale réalisée par l'Inserm dans le cadre de la Commission indépendance sur les abus sexuels dans l'église (Ciase). Soit un adulte sur 10. Les enfants souffrant de handicap sont 2,9 fois plus exposés, voire 4,6 quand il s'agit de troubles psychiques. Chaque année, ce sont 160 000 enfants qui sont victimes de violences sexuelles en France.
Signe d'une parole qui se libère et qu'on commence à écouter, la Ciivise, co-présidée par le magistrat Édouard Durand et Nathalie Mathieu, travailleuse sociale et directrice de l’association Docteurs Bru, a recueilli plus de 11 400 témoignages depuis le lancement de son appel le 21 septembre 2021.
L'urgence d'un repérage systématique
Plus d'une victime sur deux se tait par honte. Aussi l'urgence est-elle le repérage des violences sexuelles dans l'enfance, et celui-ci doit être systématique à l'instar de ce que la Haute Autorité de santé recommande à l'égard des femmes victimes de violences, insiste la Ciivise. « Alors que l’agresseur a imposé le silence à l’enfant et lui a interdit de parler, tout.e professionnel.le doit permettre la révélation des violences et amorcer la mise en sécurité de l’enfant », lit-on.
Comme d'autres professionnels (infirmiers, instituteurs, professeurs, avocats, éducateurs, etc.), les médecins doivent poser aux enfants, mais aussi aux adultes (à propos de leur propre enfance) la question de l’existence des violences sexuelles, et notamment de l’inceste, recommande la Ciivise. En particulier lorsque la personne souffre de troubles psychiques : selon les résultats préliminaires d'une étude conduite par la Dr Clémentine Rappaport et son équipe sur 130 dossiers d'adolescents hospitalisés en pédopsychiatrie entre 2017 et 2021, les tentatives de suicide, les automutilations et les mises en danger sont particulièrement associés à des antécédents d'agression sexuelle.
Le signalement doit être une obligation
La Ciivise insiste plus particulièrement sur la question de l'obligation de signalement des enfants victimes par les médecins en demandant sa clarification, c'est-à-dire son inscription dans la loi. Aujourd'hui, les textes réglementaires et législatifs indiquent seulement que le médecin a une faculté de signalement lorsqu’il se trouve en présence d’un enfant victime de violences sexuelles ou qu'il le suspecte ; la « clause de conscience » lui permet d’apprécier s’il estime devoir effectuer ou non un signalement. Soit un cadre flou, contesté de longue date par certains, comme la pédopsychiatre Catherine Bonnet.
Ce jeudi, le Conseil national de l'Ordre des médecins a déclaré qu'il n'est « pas favorable » à une telle obligation de signalement, rappelant que les médecins sont déjà tenus à une obligation de protection. « Quand un médecin est sûr qu'il y a des violences sexuelles, il se doit de faire un signalement au procureur de la République, a rappelé la vice-présidente du CNOM, la Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi. Quand il a des soupçons, il peut faire une information préoccupante auprès de la cellule de recueil des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger. »
Un filet de sécurité pour les médecins
« Il faut établir des normes claires pour les médecins : repérage systématique et, si soupçon, obligation de signalement », estime pour sa part le juge des enfants Édouard Durand. En contrepartie, les médecins doivent avoir des filets de sécurité, à commencer par une cellule nationale de conseil et de soutien, qui doit aider tous les professionnels, surtout les plus isolés, à effectuer un signalement, y compris dans l'urgence. En outre, les praticiens doivent avoir l'assurance de n'être pas poursuivi par l'Ordre dès qu'ils effectuent un signalement.
« Sans méconnaître la nécessité de garantir le respect d’une déontologie propre au médecin, la Ciivise se montre attentive à la situation de praticien.ne.s (comme la Dr Eugénie Izard, NDLR) qui ont fait l’objet de ces poursuites, voire de sanctions incluant l’interdiction provisoire d’exercer et estime devoir prévenir la possibilité d’une instrumentalisation de cette procédure par le parent agresseur pour nuire aux médecins », lit-on. Et de demander la suspension de toute procédure disciplinaire pendant l’enquête pénale à la suite d’un signalement effectué par un médecin pour suspicion de violences sexuelles contre un enfant.
Spécialisations des soins en psychotrauma
La Ciivise compte aussi sur les médecins pour apporter l'une des deux dimensions de la réparation : le soin (l'autre étant l'indemnisation). Seulement une victime sur deux a reçu un suivi médical, 8,5 % une prise en charge spécialisée en psychotraumatisme. La Ciivise recommande donc le développement des prises en charges pluridisciplinaires adaptées de manière à recevoir les enfants rapidement après les violences.
« Si des soins spécialisés en psychotrauma sont prodigués dans l'année, on peut effacer en grande partie les souffrances traumatiques. S'ils sont prodigués des années après les violences, ils vont quand même réduire de façon significative les symptômes », commente auprès de l'AFP Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique, membre de la Commission. Le rapport insiste sur la nécessaire mise en sécurité de l'enfant : « dans une situation d’inceste parental, il n’est pas envisageable de prodiguer utilement des soins à un enfant victime s’il est encore contraint de rencontrer son agresseur », lit-on.
Pour ce qui est du traitement judiciaire des violences, la Ciivise soutient le développement des unités d'accueil et d'écoute pédiatrique (UAPED, ex UAMJ), à raison d'une par département comme le veut le plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022. La commission demande que les expertises psychologiques ou pédopsychiatriques soient menées par des professionnels formés, ne serait-ce que pour éviter « le recours à des concepts dangereux tels que le pseudo-syndrome d’aliénation parentale* », déjà critiqué dans un précédent avis.
Enfin, pour mieux prévenir les violences sexuelles et construire une « culture de la protection », la Ciivise plaide pour la formation de tous les professionnels, pour la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, ainsi que pour la réalisation d'une campagne nationale de sensibilisation.
*Conceptualisé par le docteur Richard Gardner à la fin des années 1980, le pseudo « syndrome d’aliénation parentale » accrédite l’idée que lors d'une séparation conjugale conflictuelle, le parent avec qui vit l’enfant, la mère le plus souvent, lui « lave le cerveau » pour qu'il refuse de voir son autre parent.
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