IL EST PARFAITEMENT EXACT de relever dans la conjoncture politique et sociale les ingrédients d’une très forte détonation. Le pouvoir sarkozyste a conçu en 2007 un projet pour la France qui s’appuyait sur la croissance et sur une mondialisation apparemment irrésistible. Ce projet était, quoi qu’en dise la gauche, en accord avec un contexte qui réclamait un gros effort de la France dans le sens de la compétitivité. D’où le bouclier fiscal, les récompenses accordées au travail, un effort, d’ailleurs timide, de défiscalisation. Le projet présentait, dès sa mise en uvre, des risques considérables : il était logique de donner plus de liberté aux entreprises, mais il était dangereux d’ôter de la sorte la plupart de leurs contraintes. La mondialisation se traduit par des délocalisations et donc des licenciements. Le climat social n’était pas bon du tout en 2007 et au début de 2008. Comme un pompier dépourvu de lance à eau, le président courait de foyer en foyer, de Gandrange en CAMIF, mais en vain. La crise, qui couvait depuis août 2007, avec le début des subprimes insolvables, a explosé en septembre 2008 et elle a porté un coup très dur à l’économie française, entraînant une progression hallucinante du chômage.
La réforme devient secondaire.
En quinze mois, le gouvernement de François Fillon avait lancé une flopée de réformes, toutes destinées, selon le pouvoir, à moderniser le pays. Ces réformes sont souvent engagées, quelques-unes sont achevées, quelques-unes ont été retardées. Malheureusement, quel que soit le bilan du gouvernement, la crise rend la réforme, qui est censée permettre d’écarter le risque de révolution, quelque peu secondaire ou inopérante. L’ouvrier licencié, le travailleur en chômage technique, la mère de famille qui ne boucle pas de ses fins de mois ne distinguent, dans une avalanche d’idées, de discours, de mesures, que l’abaissement de leur propre condition. La réforme n’est pas morte, mais elle n’a aucun effet positif, pour le moment, sur la crise sociale. Elle en aura en revanche quand la croissance repartira.
La multiplication des manifestations, la sequestration de quelques patrons, le ras-le-bol exprimé par la plupart de nos concitoyens ne signifient nullement qu’ils ont manqué de patience. Il leur en a fallu beaucoup au contraire pour subir, sans s’attaquer à leurs chefs, les fermetures d’usines, les vagues de licenciements qui suivent l’annonce de vastes profits, bref, ce que l’on sait : le cynisme de certains patrons (mais pas tous) qui osent, de surcroît, quand tant d’autres sont dans la mouise, s’offrir des compensations de nabab. Il ne fait pas de doute que les bonus, stock-options et parachutes dorés qui, rapportés à l’économie nationale, ne représentent qu’une petite somme, ont joué un rôle terrible dans l’indignation des Français. En d’autres termes, s’il y a une révolte, ou pire, on sait déjà qui en seront les principaux responsables. Ils ont en effet réintroduit dans la société la notion archaïque de lutte des classes. Ils ont démontré qu’ils étaient à ce point dépourvus de civisme qu’ils traitaient leurs employés avec un mépris souverain, que rien ne leur importe plus que l"argent et qu’ils sont près à vivre comme des princes dans un océan de misère.
Eh bien, cela ne marche pas. Pour commencer, cela ne peut convenir à un pouvoir politique qui est le premier à dénoncer les patrons voyous ; cela n’est pas compatible avec l’ordre dont ces nantis ont besoin pour vivre la belle vie ; cela finira par leur exploser à la figure. Le gouvernement est tout à fait conscient d’une évolution très inquiétante qui dresse le plus grand nombre contre un petit groupe de privilégiés. Dans « le Monde » de samedi dernier, une historienne, Sophie Wahnich, publie un article dont l’intitulé rend compte du contenu : « Après 1789, 2009 ? ». Elle semble répondre par l’affirmative, tout en rendant M. Sarkozy responsable de la révolution à venir. En réalité, le pouvoir a été pris au piège de la crise. L’impôt sur la fortune est largement considéré comme une idiotie qui se traduit par la fuite des capitaux, mais c’est le bouclier fiscal qui figure en tête du contentieux entre le peuple et son président. Encourager les heures supplémentaires était une excellente initiative en faveur du pouvoir d’achat, mais aujourd’hui elle risque de freiner l’embauche un peu plus.
Tout dépend de la durée de la crise.
Et les contradictions s’accumulent. M. Sarkozy prend des mesures contre l’enrichissement des patrons, mais en même temps, il est bien obligé de renflouer les banques en difficulté ; il ne veut pas augmenter les impôts (pour ne pas nuire davantage au pouvoir d’achat), mais les déficits sont devenus incontrôlables. Il y aurait de l’argent pour des institutions responsables de l’appauvrissement général de la France, mais par pour ceux qui perdent leur toit ou dînent à la soupe populaire. Le heurt entre l’action politique et la façon dont le peuple perçoit cette action, c’est le jeu de deux plaques tectoniques qui produit un séisme. Sans compter l’huile que l’opposition jette sur le feu, avec une virulence verbale qui n’est dépassée que par la violence physique des casseurs dans les manifestations.
Sommes-nous en 1968 ou en 1789 ? Nous croyons moins, pour notre part, aux leviers politiques, comme la distribution d’argent préconisée par la gauche, qui seraient susceptibles d’éviter une conflagration qu’au retournement de la crise. Un temps nous sépare de la reprise. Il peut s’agir de six mois, d’un an ou de plusieurs années. Si la crise se prolonge au-delà des prévisions raisonnables de retour à la croissance, une forme de soulèvement populaire en France n’est pas à exclure.
UNE COURSE DE VITESSE ENTRE LA TOLÉRANCE POPULAIRE ET LA DURÉE DE LA CRISE
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