LE QUOTIDIEN - Vous êtes un expert de l’autonomie. Pourquoi ce sujet vous amène-t-il en France ?
DR RÉJEAN HÉBERT - Nous n’avons pas d’équivalent de l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie) au Québec. J’ai emmené mes collaborateurs pour voir comment implanter cette assurance chez nous. Nous avons rencontré des experts, la ministre Michèle Delaunay, la CNSA (où j’ai travaillé il y a deux ans). Au Québec, nous ne parlons pas de dépendance. Notre approche est centrée sur le soutien aux personnes âgées. Je suis très heureux de voir que Michèle Delaunay a tout de suite fait un virage vers l’autonomie.
Pourquoi vous intéresser à la tarification à l’activité ?
C’est l’autre objet de ma venue. Nos hôpitaux sont financés par dotation globale. Cela plaît à l’esprit de financer l’hôpital sur le mode industriel pour contenir les dépenses et améliorer la productivité. Mais il y a des effets pervers possibles, c’est ce que je suis venu analyser. J’ai rencontré des experts, visité des hôpitaux. La France elle-même s’interroge. Le financement à l’activité ne tient pas compte de la qualité des soins. Il crée une nouvelle technocratie, des coûts administratifs. Certaines maladies sont plus payantes que d’autres.
Même si ce risque de sélection des patients n’a pu être mesuré en France, je suis moins enthousiaste aujourd’hui que je ne l’étais avant mon départ! La T2A apportera-t-elle une réelle valeur ajoutée ? Je ne suis pas sûr. Il me semble qu’il y a beaucoup d’inconvénients. Aucun pays n’a trouvé de financement adapté aux maladies chroniques. J’ai demandé à un groupe d’experts au Québec de pousser la réflexion.
Les dépenses hospitalières au Québec dérapent-elles fortement ?
Sur un budget santé annuel de 32 milliards de dollars canadiens [22,5 milliards d’euros], les établissements sanitaires et médicosociaux représentent 20 milliards [15 milliards d’euros]. Nous essayons de contenir les dépenses hospitalières à l’intérieur d’une progression annuelle de 3,3 %. Notre problème, c’est la rémunération des médecins! C’est une dépense difficile à contenir.
En 2009, le Québec et la France ont signé un accord sur la reconnaissance des qualifications professionnelles des médecins et des infirmiers. Y a-t-il eu d’importants flux migratoires depuis ?
Il y a beaucoup plus de mouvement de la France vers le Québec qu’en sens inverse. Quelques centaines de médecins français sont venus exercer au Québec. Du Québec vers la France, c’est quelques dizaines. Cela se comprend car le Québec connaît une pénurie importante de médecins et d’infirmières. Notre numerus clausus a été tenu très bas dans les années 1990. Personne n’avait prévu un changement de génération important, et la féminisation de la profession. La pénurie de spécialistes devrait être résorbée d’ici trois à quatre ans. Pour les médecins de famille, ce sera un peu plus long. Il en manque au moins un millier.
En quoi le Québec est-il attractif pour le corps médical français ?
Les perspectives d’emploi et les conditions de rémunération y sont plus intéressantes, avec un coût de la vie moins élevé. Le médecin de famille gagne autour de 250 000 dollars par an avant impôts (184 000 euros), soit environ 125 000 dollars net (92 000 euros). Le spécialiste gagne en moyenne 300 000 dollars (221 000 euros).
Comment le médecin québécois est-il rémunéré ?
Pour améliorer le suivi des maladies chroniques, nous passons d’une rémunération à l’acte à une rémunération mixte comprenant des vacations et des forfaits. Nous pensons que cela incite davantage à la qualité que le paiement à la performance. Au Québec, le dépassement d’honoraire est interdit. Les médecins n’ont jamais eu ce droit, ils ne le réclament pas. En revanche, certains d’entre eux détournent le système et chargent des frais accessoires : nous allons colmater cette brèche par l’application du règlement. Le plafonnement des honoraires (en volume), un temps mis en place, a été stoppé. La nouvelle génération de médecins travaille moins, ce n’est plus un enjeu. On voudrait même que les médecins travaillent plus ! Nous avons aussi abandonné la majoration des honoraires en zone sous médicalisée : cela n’a pas été très incitatif pour attirer les médecins.
Quid de la liberté d’installation ?
Elle n’existe plus depuis une vingtaine d’années. Il n’y a pas eu à l’époque de levée de bouclier de la part des fédérations médicales, qui ont compris l’enjeu. Pas comme les remous que cela risque de créer ici ! Chaque année, le ministère et les agences régionales établissent des plans d’effectifs médicaux. Les médecins postulent sur les postes disponibles. Cela nous a permis d’assurer une présence médicale sur tout le territoire. Nous n’avons pas de déserts médicaux, même s’il reste des progrès à faire car en situation de pénurie il faut gérer la rareté. C’est au niveau de la couronne de Montréal que les besoins sont les plus importants.
Le Québec a créé un corps intermédiaire de santé, les infirmières praticiennes spécialisées. Quel est leur rôle ? Comment sont-elles acceptées par les médecins ?
Ces infirmières de niveau master interviennent en première ligne pour soutenir les médecins de famille. Elles peuvent prescrire, réaliser des actes diagnostiques, faire des bilans de santé, suivre des pathologies chroniques - par exemple ajuster l’insuline ou la médication des diabétiques. Les cas complexes sont réservés aux médecins.
Les résistances du départ sont apaisées. Les médecins voient que ces infirmières peuvent être extrêmement utiles. Ils apprennent à travailler avec d’autres professionnels. L’exercice en groupe interdisciplinaire se développe, un changement culturel extrêmement important est en cours. La population est satisfaite car elle accède plus facilement à la médecine de famille. L’amélioration des soins de proximité est aussi un moyen de limiter l’encombrement aux urgences. 16 % des lits d’hôpitaux au Québec sont occupés par des malades âgés qui attendent un hébergement. La stratégie du gouvernement, c’est de régler le problème de l’hôpital à l’extérieur de l’hôpital, par les soins de première ligne, les soins à domicile, et la prévention.
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