LE QUOTIDIEN : De quelle façon le manque de médiation ou de compétence interculturelle dans le corps médical peut-il dégrader la qualité des soins ?
PATRICIA HUDELSON : La qualité des soins médicaux dépend d'une bonne communication entre praticiens et malades. Si les médecins ne communiquent pas efficacement et ne développent pas une alliance thérapeutique avec leurs patients, on constate des difficultés diagnostiques, des rendez-vous manqués, des refus de traitement ou une mauvaise adhésion, de la méfiance, des conflits et de la frustration.
Les différences culturelles non prises en compte favorisent les incompréhensions, encore plus lorsque la langue parlée n'est pas la même. La culture influence la façon dont nous comprenons le corps, la maladie et même les interactions avec les professionnels de la santé. La « compétence interculturelle dans le soin doit donc avoir comme point de départ la compréhension du patient : ses idées, ses attentes, ses valeurs et ses priorités. L'anthropologie a toute sa place dans les études de médecine.
Des exemples issus de votre expérience ?
Je me souviens d'un patient hospitalisé pour une infection grave, pour lequel des prises de sang fréquentes s'imposaient pour s'assurer des effets des antibiotiques. Les médecins communiquaient avec lui et sa famille en anglais, qui n'était pas sa langue maternelle, ni la leur. Après quelques jours, il s'est mis en colère, à deux doigts de quitter l'hôpital ! Nous avons fait appel à une interprète. Les médecins lui avaient dit qu'il souffrait de « low blood », ce qui signifie « anémique ». Le patient avait compris « en manque de sang ». D'après lui, les prises de sang allaient l'affaiblir encore plus. Nous lui avons expliqué la signification d'anémique et décrit de quelle façon le corps remplaçait rapidement les quelques grammes prélevés lors des prises de sang. C'est la volonté de comprendre le point de vue du patient qui a permis aux médecins d’assurer sa prise en charge.
Certains sont convaincus que leur maladie est causée par le mauvais œil ou une malédiction. Si les patients comprennent la plupart du temps qu'ils souffrent d’une maladie normalement traitée par la biomédecine, ils peuvent chercher simultanément une solution à ce qu'ils considèrent comme la cause sous-jacente et « réelle » de leur maladie, usant éventuellement de remèdes « traditionnels » en plus du traitement biomédical. Il est donc crucial pour les professionnels de santé de toujours explorer les croyances du patient sur sa maladie pour clarifier les attentes vis-à-vis de la biomédecine.
La non-adhésion aux traitements représente des coût humains et économiques faramineux, évalués à près de100 milliards de dollars chaque année aux États-Unis. La médecine transculturelle a-t-elle un rôle à jouer ?
La mauvaise observance du traitement est un énorme problème dans la médecine en général et les meilleures façons d'y remédier restent incertaines. Il a toutefois été démontré que la formation des médecins à une meilleure communication améliore l'adhésion de leurs malades au traitement. Les interprètes professionnels ont aussi un rôle clef à jouer : ils permettent d'obtenir des anamnèses plus précises, d'éviter des tests inutiles et de s'assurer que les patients allophones comprennent leurs maladies et leurs traitements.
L'enjeu des compétences interculturelles semble surtout pris en compte chez les Anglo-saxons, en Belgique et en Suisse. Quel est votre point de vue sur cet aspect ?
Il me semble tout de même que les défis de la diversité en médecine sont également abordés en France, où des initiatives intéressantes ont émergé ces dernières années, particulièrement dans le domaine de la santé mentale. Les hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis proposent une consultation de psychiatrie transculturelle. Plusieurs universités de médecine délivrent des formations à la diversité : Picardie, Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Paris. En Suisse, chacune des cinq facultés développe son propre programme d'études. À Genève, les étudiants en médecine suivent des cours sur l'anthropologie, la bioéthique, l'histoire médicale et la littérature.
Le contenu des initiatives pour assurer des soins de qualité pour des populations de plus en plus diverses varieront nécessairement en fonction des professionnels concernés, du contexte clinique et social, de leurs points de vue sur le rôle de la culture et d'autres facteurs sanitaires. C'est le cas en Suisse, où le contenu et l'orientation des projets varient entre les cantons et les institutions concernées.
Peut-on parler d'un « choc des cultures » à l'hôpital ?
Oui, on peut parler d'un choc culturel à l’hôpital, même pour un patient non issu de la migration. D'après Elsa L. Ramsden, "le premier séjour à l'hôpital, c'est un peu comme un premier voyage à l'étranger et encore plus comme un séjour en prison", a-t-elle écrit dans son livre « Values in conflict : hospital culture shock ». Une chambre est attribuée au patient, il reçoit un uniforme, on lui demande d'enlever ses vêtements, il est identifié par sa maladie, son numéro de chambre, son lit… Ses activités habituelles sont suspendues, les horaires et visites sont contrôlés par d'autres, les routines, les procédures, les professionnels sont peu familiers, le langage technique des professionnels est difficile à comprendre. Et malgré tout, on attend d'eux qu'ils soient reconnaissants et coopèrent ! Quand le patient vient d’ailleurs, parle une autre langue et ne connaît pas le système de santé, le choc peut être d'autant plus fort.
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