« VOUS PENSEZ que la ministre en charge du droit des femmes va soutenir un truc pareil ! » C’est en ces termes que Roselyne Bachelot avait accueilli, au mois de janvier dernier la proposition de loi de Jean-François Chossy en faveur de l’accès à des assistants sexuels pour les personnes handicapées. « J’y suis rigoureusement, formellement, totalement opposée », avait-elle déclaré. Quelques jours plus tard, elle récusait toute idée d’encadrement des relations sexuelles en cas de handicap : « Soit cela relève du bénévolat et de relations interpersonnelles et on n’a pas à intervenir, soit ce sont des relations rémunérées en échange d’un service sexuel, cela porte un nom, cela s’appelle de la prostitution », avait-elle souligné. La proposition de loi du député UMP de la Loire avait été ajournée.
300 signatures.
La polémique vient d’être relancée. L’Association des paralysés de France (APF) et l’association CH(S)OSE* ont décidé de mettre de nouveau le sujet sur la place publique. « Accepteriez-vous une vie sans relation sexuelle, alors que vous en avez le désir ? », interrogent-elles dans l’appel publié sur le site de « Faire Face », le mensuel d’information de l’APF (www.faire-face.fr). « C’est maintenant à chaque citoyen de prendre position », estiment les associations, qui regrettent que « des déclarations à l’emporte-pièce, témoignant parfois d’une méconnaissance du sujet, (aient) coupé court à toute possibilité de débat ». L’appel a déjà reçu le soutien de plusieurs associations, dont Act Up, Aides, Arcat, les Amis du Bus des femmes, mais aussi de personnalités appartenant à différents horizons comme Pascal Bruckner (philosophe), Éric Fassin (sociologue) ou encore l’ancienne star du X Brigitte Lahaie.
« Nous sommes très en retard sur nos voisins européens, Allemands, Hollandais, Danois et Suisse. Dans certains pays cela fait plusieurs décennies qu’une telle mesure existe », indique au « Quotidien » François Crochon, psychomotricien de formation et sexologue. Membre de l’association CH(S)OSE et chef de mission du CeRHeS (Centre ressources Handicaps et Sexualités), il précise que les assistants ou aidants sexuels s’adressent à des « personnes handicapées très lourdement dépendantes qui n’ont pas accès à leur corps même pour une activité autoérotique et sont en situation de détresse ». Il ne s’agit pas « de frustration sexuelle mais de privation totale », poursuit-il. Or, rappelle le sexologue, « la santé au sens de l’OMS ne se résume pas à une absence de maladies, de dysfonctions ou d’infirmités. C’est une possibilité d’épanouissement, de bien-être. La sexualité est un élément fondamental de la qualité de vie qui ne peut être mis sous le boisseau. »
C’est en référence à cette définition de l’OMS mais aussi à la loi Handicap de février 2005 affirmant le droit à compensation de toutes les conséquences liées au handicap que les associations demandent la création de services d’accompagnement sexuel. « En France, dans les établissements sociaux et médico-sociaux un tel accompagnement se fait de manière cachée parce que le recours à un assistant sexuel est assimilé à de la prostitution, et les directeurs ou directrices de ces établissements tomberaient sous le coup de la loi contre le proxénétisme », témoigne François Crochon, qui a travaillé jusqu’en 2009 à la formation dans de type d’établissements dans le cadre du service AVAS (Accompagnement à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap) de Handicap international.
Une pratique très encadrée.
Le sexologue récuse toute forme de prostitution et de violence. « Il s’agit de mettre en place une pratique extrêmement minoritaire et extrêmement encadrée. Nous ne souhaitons pas en France d’assistants sexuels libéraux mais des assistants rattachés à un service d’accompagnement sexuel qui comprendrait d’autres professionnels dont un sexologue qui aurait un rôle d’orientation », précise-t-il. Une formation initiale et une formation continue seraient mises en place et les prestations des aidants pourraient être évaluées. Des critères de recrutement des assistants devront être définis. La prestation serait d’environ 100 euros pour 1 heure et demie comprenant le déshabillage, la toilette, l’installation dans le lit, la prestation en elle-même, le rhabillage et la toilette. « Il s’agit d’une relation librement consentie entre deux adultes qui s’engagent, l’un dans l’accès à une prestation et l’autre dans le don d’une prestation sexuelle », insiste le sexologue. Simples caresses, massages érotiques – « il ne faut pas simplement penser à la génitalité », indique le spécialiste – mais cela peut aller beaucoup plus loin jusqu’à l’acte lui-même.
« L’assistant, homme ou femme, aurait pour rôle de répondre à un besoin d’apprentissage et de découverte de l’intimité, mais aussi de prodiguer, dans le respect, une attention sensuelle, érotique et/ou sexuelle », plaident les associations, qui rappellent qu’il ne représente qu’un choix possible et en aucun cas la seule solution aux problèmes rencontrés par les personnes handicapées dans leur vie affective et sexuelle.
Dignité et accessibilité.
Un discours que rejettent en bloc les associations féministes. Elles dénoncent une offensive orchestrée « à l’approche de l’échéance d’octobre et de l’examen d’application de la loi sur l’abolition de la prostitution ». Les aidants sexuels « sont une très mauvaise réponse à une très bonne question », explique au « Quotidien », la psychanalyste, Maudy Piot. En tant que présidente de l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), qui accueille des femmes et des hommes en situation de handicap et elle-même « en situation de handicap », elle refuse « que l’on parle au nom de tous les pauvres handicapés » : Ce que nous voulons, c’est la dignité de la personne en situation de handicap. Nous avons le droit d’avoir une vie sexuelle avec la personne qu’on a choisi mais qu’on ne paye pas. À partir du moment où vous payez, c’est de la prostitution. » Elle dénonce une situation de ghettoïsation des personnes handicapées. « Si nous n’étions pas enfermés chez nous parce que les boîtes de nuit, les restaurants ou les lieux de loisirs ne sont pas accessibles, nous pourrions rencontrer les autres et trouver chaussures à nos pieds, y compris les personnes lourdement handicapés », poursuit-elle. Son combat est celui de l’accessibilité. « Nous voulons que les personnes handicapées aient des soins infirmiers aux heures normales, qu’elles ne soient pas couchées à 4 heures de l’après-midi mais à 21 heures si elles le désirent et qu’elles puissent bénéficier d’accompagnants qui leur permettent de sortir de chez elles et non des aidants sexuels » qui, une fois encore, les enferment à leur domicile « les laissant seuls sans contact avec l’extérieur, une fois la prestation terminée ».
Quelle motivation des aidants ?
Ce que craint avant tout Maudy Piot, c’est la violence faite aux femmes : « Une fois de plus ce sont les femmes qui devront répondre à ces demandes essentiellement masculine (99 % des demandes sont faites par des hommes). Et bien entendu, ce seront les femmes les plus précaires » recherchant une rémunération. En tant que psychanalyste, elle s’interroge sur la motivation de ces aidants sexuels qui selon elles, ne peuvent être que des « altruistes extraordinaires » ou des « pervers ». Elle met en garde : « Qui garantira qu’il n’y aura pas violence. On ne le saura jamais, car on écoutera plutôt le prestataire de service. Je rappelle que 36 % des femmes valides subissent des violences et ... 72 % des femmes en situation de handicap. » Avec la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF), la FDFA a adressé une lettre ouverte à Roselyne Bachelot l’appelant à s’opposer à toute loi sur les aidants sexuels.
Dans quelques jours, l’ex-député UMP Jean-François Chossy, qui a été chargé d’une mission sur « l’évolution des mentalités et le changement de regard porté par la société sur les personnes handicapées », devrait rendre un rapport au premier ministre, François Fillon. Un chapitre du rapport sera consacré à l’accompagnement sexuel. Toutefois, le rapport ne devrait pas trancher entre partisans et opposants à la mesure.
* Association créée en janvier 2011 à l’initiative du Collectif Handicap et Sexualités (CHS), d’où son nom : parce que le CHS ose.
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