Des membres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et des personnes ayant travaillé pour le compte de l'agence sont mis en cause pour exploitation* et abus sexuels** commis au cours de la dixième épidémie Ebola survenue dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) entre août 2018 et juin 2020.
À la suite de révélations dans la presse - en particulier dans « The New Humanitarian », le directeur général de l'OMS Tedros Ghebreyesus avait annoncé en octobre 2020 la création d’une commission indépendante chargée d’enquêter. Cette commission vient de rendre public son rapport, dans lequel elle pointe notamment « des défaillances structurelles évidentes et une certaine impréparation à la gestion des risques d’incidents d’exploitation et d’abus sexuels ». Ce rapport détaille « l’ampleur des incidents » et souligne que « les victimes présumées n’ont pas bénéficié de l’aide et de l’assistance nécessaires qu’exigeaient de telles expériences dégradantes ».
De nombreux témoignages rapportés
Les enquêteurs ont mené 210 entretiens, dont 75 de victimes présumées et 23 d'employés de l’OMS, parmi lesquels 15 exerçaient diverses responsabilités liées à la protection contre l'exploitation et les abus sexuels (PEAS) pendant la riposte.
Les témoignages relatés dans le rapport font froid dans le dos. Comme celui de « Séverine », âgée de 43 ans en septembre 2019. Elle raconte avoir rencontré un homme se présentant comme un employé de l’OMS et l’ayant invitée à le rejoindre à l’hôtel Viaka afin de discuter d'une possible embauche au sein de la commission de sensibilisation de la riposte à Ebola. « Une fois dans la chambre, il lui a dit qu’elle devait d’abord avoir des relations sexuelles avec lui avant toute embauche. En dépit du refus qu’elle lui a opposé, elle dit avoir été violée par ce monsieur, lit-on. Elle a affirmé, en outre, avoir obtenu le poste le lendemain mais qu’elle avait fini par démissionner parce que son agresseur continuait à la harceler sexuellement. » Au total, les enquêteurs ont comptabilisé neuf allégations de viol.
Les victimes présumées sont notamment des femmes pour lesquelles « travailler pour la riposte représentait une chance unique dans une région où les opportunités professionnelles sont extrêmement rares ».
Grâce aux informations recueillies, les enquêteurs ont pu obtenir l’identité de 83 auteurs présumés. Parmi eux, au moins 21 étaient des employés de l’OMS lors de la riposte. Les cas d’exploitation et d’abus sexuels recensés par la Commission ont été commis aussi bien par le personnel national qu’international travaillant pour le compte de l’OMS. « Les auteurs présumés profitaient de leur autorité apparente pour obtenir des faveurs sexuelles », est-il écrit. La majorité des auteurs identifiés nient les faits ou se retranchent derrière « l’argument de la "relation consensuelle" ».
Des recommandations pour prévenir exploitation et abus sexuels
La commission souligne que la liste des victimes et auteurs présumés n'est pas exhaustive et qu'elle « continue à ce jour de recevoir des informations sur des allégations d’exploitation et d’abus sexuels au cours de la dixième réponse à l’épidémie d’Ebola ».
À l’issue de cette enquête, la commission a émis plusieurs recommandations. Elle préconise notamment « d'intégrer des équipes qualifiées en matière de prévention et de lutte contre l’exploitation et les abus sexuels dans toutes les structures de gestion des opérations complexes sur le terrain ». Mais aussi « d'imposer des sanctions disciplinaires à ceux qui ne signaleraient pas les incidents ».
Elle estime par ailleurs que doivent être déclenchées, sans atteindre de plaintes individuelles, des enquêtes préliminaires dès les premiers soupçons d'abus. Elle appelle en outre à la mise en place « d'un groupe de travail au sein de l’organisation qui va réfléchir sur les modalités d’aide et d’assistance psychologique en faveur des victimes présumées dès les premiers signalements d’incidents et jusqu’à l’aboutissement des enquêtes préliminaires ».
Enfin, dans sa recommandation finale, la commission invite à « mettre en place dans les deux mois suivant la publication du présent rapport, un mécanisme de suivi indépendant de mise en œuvre des recommandations de la commission indépendante ».
Lors d'un point presse de présentation de ce rapport, Tedros Ghebreyesus a présenté ses excuses aux victimes. « Je suis désolé pour les souffrances que ces événements doivent causer. Je suis désolé que vous ayez dû les revivre en parlant à la commission de vos expériences, a-t-il déclaré. Mais en faisant la lumière sur les échecs des individus et de l'Organisation, nous espérons que les victimes auront le sentiment que leur voix a été entendue. Nous voulons que les auteurs de ces actes sachent qu'il y aura de graves conséquences. »
Lui-même interrogé par les enquêteurs, le directeur général de l'OMS a indiqué n'avoir eu connaissance des nombreuses allégations d’exploitation et d’abus sexuels que lorsqu’elles ont été révélées dans la presse en septembre 2020. La commission précise dans son rapport ne disposer, d’aucune information, en l'état, « de nature à engager la responsabilité personnelle de Tedros Ghebreyesus ».
* L’exploitation sexuelle est définie comme le fait d’abuser ou de tenter d’abuser d’un état de vulnérabilité, d’un rapport de force inégal ou de rapports de confiance à des fins sexuelles, notamment mais pas exclusivement en vue d’en tirer un avantage pécuniaire, social ou politique, est-il défini dans le rapport.
** L’abus sexuel est défini comme toute atteinte sexuelle commise avec force, contrainte ou à la faveur d’un rapport inégal, la menace d’une atteinte constitue aussi un abus sexuel.
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