Des meilleures intentions aux dures réalités

Obama, an II

Publié le 04/11/2009
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Crédit photo : AFP

IL N’EST PAS DIFFICILE de noter les sérieuses difficultés auxquelles se heurte le successeur de George W. Bush. S’il a été élu avec une forte avance, ses diverses initiatives, lancées très vite, dès janvier, ont été accueillies par l’hostilité irréductible de ceux qui n’avaient pas voté pour lui et, plus particulièrement, par cette frange du parti républicain qui s’est élevée avec une démagogie hallucinante contre sa volonté de se débarrasser le plus vite possible du legs laissé par M. Bush. L’opposition n’a renoncé à aucun moyen pour contrer une série de réformes qui correspondaient en fait à un changement d’époque. De la recherche sur les cellules souches à la libéralisation de l’avortement, de l’annonce de la fermeture de Guantanamo (malheureusement toujours en activité) à la main tendue au monde arabo-musulman, notamment lors du fameux discours du Caire en mai dernier, de la réforme de l’assurance-maladie à la régulation du fonctionnement des banques, chacune de ses réformes, qu’il avait pourtant minutieusement exposées pendant sa campagne, a été rejetée avec une virulence assortie d’une remise en question de la légitimité du président.

On a dit en effet que, né à Hawaii, il n’était pas vraiment américain ; que sa réforme de l’assurance-maladie prévoyait la création de « comités de la mort » (death panels) qui diraient quels citoyens auraient le droit d’être soignés et quels citoyens devraient être abandonnés à leur sort au nom des économies. L’ex-vice-président Dick Cheney, homme habituellement secret, est devenu le fer de lance de l’opposition, justifiant dans ses multiples apparitions télévisées toutes les actions de l’administration Bush, y compris la torture, et s’efforçant d’épouvanter les Américains en décrivant des réformes qui conduisaient directement à l’insécurité et à la vulnérabilité au terrorisme.

Cette critique sinistre, injuste, populiste, accompagnée d’allusions racistes, renforcée par une presse conservatrice désormais déchaînée contre le nouveau président, a littéralement déclenché des insurrections locales, défilés, parades, townhall meetings transformés en bouillons de haine que Barack Obama a accueilli avec un sang-froid extraordinaire qui donne la mesure de la maîtrise de ses nerfs et de l’élégance naturelle de son comportement. On ne peut pas, pour commencer, ne pas admirer un homme qui, à ce jour, n’a jamais cédé publiquement à la colère, alors qu’il a été traité avec une cruauté et une vulgarité exceptionnelles par des voyous politiques qui n’ont pas hésité à se moquer de sa famille.

Paradoxalement, c’est dans le domaine de la politique étrangère qu’Obama a subi le moins de sarcasmes, principalement parce que, pendant l’année écoulée, il n’a pas modifié en profondeur celle de son prédécesseur. Si l’on excepte le geste fait en direction de la Russie, l’annulation du projet d’installation de missiles sur les territoires tchèque et polonais pour contrer une éventuelle attaque de l’Iran (mais des missiles Patriot ont été proposés en échange à Varsovie et à Prague, de sorte que les Russes sont perplexes), la situation dans le reste du monde a empiré. En Afghanistan, où l’élection voulue par Karzaï et soutenue par les Américains et les Européens tourne à la pantalonnade, au moment précis où l’on imagine une défaite des Occidentaux face aux taliban ; en Irak, où le gouvernement de Bagdad est incapable d’enrayer la recrudescence du terrorisme ; au Proche-Orient, où M. Obama s’est heurté à la résistance de Benjamin Netanyahou et n’a pas su, jusqu’à présent, s’adapter à la nouvelle donne créée par la scission du mouvement palestinien et le changement d’idéologie des Israéliens à la suite des élections générales de janvier dernier.

ON NE POURRA JUGER OBAMA QU’AU TERME DE SON MANDAT

À quoi il n’est pas interdit d’ajouter les procrastinations de la nouvelle administration. Après un démarrage sur les chapeaux de roue, la voilà qui a besoin de plusieurs mois pour définir une nouvelle politique en Afghanistan et ne sait pas vraiment si elle doit renoncer ou envoyer davantage de troupes dans ce pays, alors même que le nombre des tués américains et européens ne cesse d’augmenter. La voilà aussi qui, par la voix d’Hillary Clinton, moins bonne ministre que candidate, renonce au gel de la colonisation dans les territoires et réclame l’ouverture immédiate de négociations, sans préalable.

Trop tôt pour être déçu.

Tout n’est pas la faute d’Obama. En Afghanistan, un différend l’oppose au général Stanley McChrystal, qui a annoncé prématurément un « surge » (envoi d’un nouveau contingent en Afghanistan) semblable à celui qui a fait merveille en Irak. L’inénarrable Hamid Karzaï était l’homme-lige des Occidentaux, mais il a truqué les élections, ne songe qu’à rester au pouvoir et a dégoûté son opposant, Abdullah Abdullah, qui s’est retitré de la course. L’homme censé représenter la démocratie en Afghanistan a des tendances despotiques, n’a rien fait dans son pays qui mérite une approbation, a laissé l’obscurantisme se réinstaller dans le pays, critique les Américains sans lesquels il n’existerait pas, n’a aucune crédibilité aux yeux des Afghans et croit trouver son salut dans un dialogue avec les taliban. La crise afghane a atteint, sous Obama, un degré de gravité jamais atteint auparavant.

Faut-il se déclarer déçu ? Non. Obama a au moins trois ans devant lui, assez de temps pour progresser en Afghanistan, en Iran, au Proche-Orient. Son plan de relance de l’économie américaine a donné des résultats avec, déjà, un retour à la croissance, sinon à la reprise de l’emploi ; il y aura une réforme moins ambitieuse de l’assurance-maladie, mais ce sera un accomplissement historique. On ne change pas en un an le cours des guerres et d’une crise économique qui a failli nous engloutir tous. Ce qui compte, c’est le style, l’amour ardent des libertés, la préférence accordée à la vertu, la volonté de se plier, sans exception, aux préceptes de la Constitution, l’embellissement de l’Amérique, qu’une opposition maladive n’est pas parvenue à enlaidir de nouveau. Voter pour Obama, c’était lui donner une chance. Pas pour un an, mais pour quatre, et peut-être huit. Cet homme-là est peut-être ébranlé par les « terribles pépins de la réalité », mais il a assez de détermination, de sang-froid et de confiance en lui-même pour nous livrer un jour le programme qu’il nous avait annoncé.

RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr