LE QUOTIDIEN – Nicolas Sarkozy convoque aujourd’hui une conférence sur les déficits publics. Avec 30 milliards d’euros de déficit annuel supplémentaire dans les années à venir, et 150 milliards d’euros de dette à l’horizon 2013, la Sécurité sociale affronte une dégradation financière sans précédent. Faut-il s’en alarmer ?
MARC GUILLAUME – Il faut toujours s’inquiéter du déficit public ! Quand on voit ce qui se passe en Grèce, où le déficit public a bondi, au point d’inquiéter le monde financier et d’affaiblir l’euro, on ne peut nier que le déficit est problématique. Il n’est pas mauvais de faire des économies, de supprimer les gaspillages, de réduire les dépenses inutiles. Pour autant, le « trou » de la Sécu doit être mis en balance et en perspective. Il résulte du fait que les recettes sont bien identifiables, que les dépenses sont aussi bien identifiées, ce qui aboutit à un raisonnement purement comptable… On a des entrées, des sorties et à la clé un excédent, un équilibre ou un déficit. Avec le vieillissement, les progrès techniques, l’exigence de sécurité, on a surtout des déficits depuis les années 70. Du coup, on jette toujours le même éclairage comptable et culpabilisant sur le secteur de la santé. Et que fait la puissance publique ? Comme un ivrogne qui a perdu ses clefs, elle cherche là où le réverbère est allumé. Donc elle cherche des économies là où elle voit le déficit. À une observation comptable, on répond par des méthodes comptables, trop heureux d’avoir un argument rhétorique et politique. On répète « déficit, déficit, déficit ».
Mais faudrait-il laisser filer cette dépense de santé ?
Non, je ne fais pas démagogie. Mais il faudrait revenir tout simplement à l’esprit de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances – sorte de constitution financière qui fixe les règles budgétaires, les indicateurs, les instruments en matière de dépense publique). En clair, il faudrait appliquer la même vigilance à toute la dépense publique, y compris les dépenses d’administration générale, la défense, l’Éducation… Ce n’est pas du tout le cas ! On devrait avoir une approche globale du déficit. On préfère aujourd’hui donner ce redoutable privilège à la santé. On est beaucoup plus indulgent avec les dépenses de l’État qui se perdent dans les limbes. C’est vrai particulièrement pour les dépenses d’Éducation qui sont, comme les dépenses de santé, très utiles… Mais personne ne parle de « trou » de l’Éducation nationale, on n’a pas de vote du Parlement pour plafonner la croissance de ces dépenses, on n’a pas de procédure d’alerte en cas dérapage, pas de chasse au gaspi, pas de service pédagogique rendu comme on parle de service médical rendu… Or, en tant qu’enseignant, je sais qu’il y a beaucoup de gaspillages, beaucoup de marge. Les 30 milliards d’euros qui manquent à la Sécu, on pourrait en gagner déjà une dizaine dans l’Éducation.
Le gouvernement envisage de réduire encore l’évolution des dépenses maladie. Éric Woerth évoque une croissance limitée à 2 % par an…
Arrêtons de culpabiliser le secteur de la santé ! Depuis vingt ans, on a en moyenne un plan de redressement par an, qui pose autant de rustines. On colmate. Je ne crois pas que cela soit efficace. La limitation des dépenses ne sera jamais à la hauteur : on peut gagner 500 millions d’euros, c’est tout. Prétendre qu’il faut un ONDAM à 2 % n’est pas raisonnable. Le secteur de la santé a d’incroyables atouts : c’est le secteur le plus important de l’économie, très porteur en emplois de services, des emplois qu’on pourrait encore multiplier ; c’est un secteur industriel, très riche en recherche et développement, ce qui profite au reste de l’économie, riche aussi en contenu d’exportation – on le voit pour la pharmacie – avec des marchés mondiaux immenses. J’ajoute que les dépenses de santé n’ont aucune conséquence négative sur l’environnement, la santé est au cur des industries vertes. Enfin, depuis qu’on a le rapport Stiglitz [la mission Stiglitz a planché sur la mesure des performances économiques et du progrès social et élaboré de nouveaux indicateurs de richesse, NDLR] nous avons l’obligation de considérer d’autres indicateurs que le PIB. Parmi ces indicateurs composites, il y a la santé, la durée de vie sans dépendance et sans handicap… Malgré cela, on continue de tenir un discours malthusien sur les dépenses de santé. Moi, je propose que l’ONDAM soit supprimé. Si on ne freinait pas le développement spontané des dépenses de santé, on aurait un effet de croissance de 0,1 % par an. Les États-Unis ont compris depuis longtemps le caractère stratégique du secteur de la santé pour leur économie qui y consacre 15 % du PIB.
Faut-il revoir le financement de la santé ?
Oui. Il faut réfléchir au mode de financement, la part publique et la part privée. Pour l’instant ce débat promis par Nicolas Sarkozy a été abandonné. Je ne trouverais pas anormal que les classes moyennes et supérieures assument directement ou par le biais des mutuelles une partie croissante de la dépense de santé. En même temps on pourrait étendre l’aide publique à la couverture pour les ménages modestes. Mais il faut marteler le fait que le secteur de la santé est un moteur économique qui a un pied dans l’ancienne économie mais surtout un pied dans le nouveau modèle de développement durable.
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