EN OCTOBRE dernier, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, et la ministre de la Santé, Kathleen Sebelius, présentaient leurs excuses aux 1 500 Guatémaltèques infectés par des maladies sexuellement transmissibles dans le cadre d’une étude menée par le gouvernement américain il y a plus de 60 ans. « Bien que ces événements aient eu lieu il y a plus de 64 ans, nous sommes révoltées qu’une recherche aussi répréhensible ait pu être menée en invoquant la santé publique », avaient-elles alors déclaré*. Ces expériences menées, sous le prétexte de recherche prophylactique de la syphilis et d’autres maladies sexuellement transmissibles, constituent un exemple des abus qui, en l’absence de réglementation claire, ont marqué le développement de la recherche clinique aux États-Unis, dans la première moitié du vingtième siècle. D’autres études sur les maladies vénériennes dirigées par le même Dr John Cutler, responsable de l’expérimentation au Guatemala, étaient déjà connues comme celles ayant conduit à, en 1943, à l’infection délibérée de prisonniers du pénitencier de Terre Haute, dans l’Indiana, par des gonocoques ou celle de 1953, au cours de laquelle des détenus de la prison de Sing Sing dans l’état de New York, ont été infectés par le germe de la syphilis. D’autres médecins travaillant sur diverses pathologies - hépatites, cancer … - ont également utilisé des populations considérées comme vulnérables : pauvres et illettrées, handicapés ou malades mentaux, prisonniers, soldats et même des enfants, qui étaient d’autant moins en mesure de prendre de donner leur consentement libre et éclairé qu’ils ne recevaient le plus souvent que des informations intentionnellement partielles voire mensongères. Ces travaux en contradiction avec la déontologie médicale ont commencé à faire l’objet de dénonciations publiques dans les années 1960 et 1970. En 1966, un médecin américain, Henry Beecher, a publié un article dans le New England Journal of Medicine décrivant 22 études qui violaient les standards de base d’une recherche éthique.
Déjà les excuses de Bill Clinton.
L’étude de Tuskegee sur la syphilis non traitée, devenue le symbole d’une médecine raciste, figure parmi les expériences qui ont le plus défrayé la chronique et bouleversé la conscience américaine. Elle a duré 40 ans et s’est déroulée de 1932 à 1972, date à laquelle elle a été dénoncée dans la presse. Dirigée par les services fédéraux de santé publique, elle a consisté en un suivi sans traitement jusqu’à l’autopsie de 400 hommes afro-américains pauvres, n’ayant, en général, pas les moyens de recevoir des soins médicaux, souvent illettrés, issus d’un milieu rural en Alabama, affectés d’une syphilis latente tardive lors de l’inclusion. Le groupe contrôle était formé de 200 hommes afro-américains non syphilitiques suivis également jusqu’à leur autopsie. La plupart des hommes atteints ne connaissaient pas leur diagnostic. Ils pensaient souffrir de « mauvais sang », expression locale vague recouvrant diverses pathologies, et croyaient recevoir un traitement ce qui n’était pas le cas. En échange de leur participation, ils percevaient une modeste compensation, financière ou en nature, et parfois un traitement pour d’autres maladies non liées. En 1997, le Président Bill Clinton a présenté des excuses de la part du gouvernement américain aux familles, aux descendants ainsi qu’à huit survivants de l’étude. C’est en recherchant des documents liés à l’affaire de Tuskegee que l’historienne Susan Reverby a découvert et révélé le scandale du Guatemala.
La recherche hors des États-Unis.
Amy Gutmann, présidente de la commission présidentielle de bioéthique, a rappelé au cours d’une première réunion au mois de mars, que les abus décriés ne pourraient pas avoir lieu aujourd’hui dans le cadre d’une recherche financée par le gouvernement américain, sur son territoire ou à l’étranger. En effet, la réglementation, en place dans sa forme actuelle depuis 1991, exige notamment que les essais cliniques aient une valeur scientifique, que le rapport entre risques et bénéfices soit favorable au sujet de l’expérience et que ce dernier soit en mesure de donner un consentement éclairé. D’autre part, tout protocole d’expérience doit être revu par un comité d’évaluation indépendant qui a pour rôle de s’assurer que ces règles sont respectées et que des mesures spéciales de protection sont mises en place lorsque la recherche met en jeu des populations vulnérables.
Toutefois certains médecins consultés par la commission lors de ses audiences publiques, ont souligné que dans le contexte actuel où les essais cliniques sont de plus en plus souvent conduits en dehors des États-Unis, avec des fonds d’origines diverses, notamment privés, l’établissement de règles qui ne s’appliquent qu’à la recherche financée par le gouvernement, ne suffira pas à garantir que les traitements dont pourront bénéficier les Américains, auront été évalués de façon conforme à l’éthique.
Ces médecins, dont le professeur Robert Califf, de l’université Duke en Caroline du Nord, s’interrogent également sur le bien-fondé de certains essais cliniques réalisés dans des pays émergents ou en développement, dont les besoins et les ressources peuvent être profondément différents de ceux des pays développés promoteurs de la recherche. Pour éviter un nouveau Guatemala, ceux-ci recommandent donc que soit conçue une nouvelle réglementation applicable à tous et qui fasse l’objet d’un consensus international. La commission devrait proposer à l’automne des recommandations dans ce sens.
* Le quotidien n° 8830, 6 octobre 2010
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