APRÈS le temps des Soviétiques (1979-1989) et celui des talibans (1992-2001), le temps des Américains et des alliés de la coalition occidentale aura aussi été celui des ONG. Depuis dix ans, en raison de la ruine du pays et de la corruption du régime, gangrené par le trafic des drogues, ce sont ces organisations qui, sous le parapluie militaire, ont distribué une part importante de la manne apportée par l’aide internationale : près d’un milliard de dollars en 2009, soit la moitié du budget de l’État afghan, lequel ne perçoit en direct que 20 % de cette aide. Selon le calendrier annoncé à Lisbonne par le président Obama et entériné par les membres de l’OTAN, les 140 000 hommes de l’ISAF (International Security Assistance Force) devraient tous avoir quitté le pays fin 2014. Et avec eux, c’est le temps des ONG qui pourrait bien être révolu. Diversement impliquées sous le parapluie militaire occidental, les associations se rejoignent aujourd’hui dans cette commune appréhension.
. Première urgence-Aide médicale internationale : une nouvelle donne
Responsable géographique pour l’Asie, Frédéric Pascal assume la stratégie intégrée de son association, présente depuis 1980 en Afghanistan. AMI est actuellement responsable du BPHS (Basic Package of Health Services, programme de santé publique) dans la province de Kunar (Nord-Est), qui emploie 80 afghans dans 37 centres de santé et hôpitaux. « Nous sommes candidats à un appel d’offres dans deux autres provinces, explique-t-il, c’est dire que nous refusons de nous positionner dans une perspective de retrait. Mais nous sommes conscients qu’avec le départ des militaires occidentaux, nous allons assister à une nouvelle donne, avec des groupes qui vont tenter d’occuper l’espace laissé libre. Face aux milices et aux talibans, nous hissons le drapeau blanc. Nous ne saurions être considérés comme les complices du gouvernement actuel et nous engageons dès maintenant les contacts avec les chefs locaux pour clamer notre neutralité au service des besoins de santé des populations. Dans le même temps, nous allons effectuer des actions de lobbying pour convaincre les bailleurs de ne pas se désengager. Il ne faut surtout pas crier à la débandade. »
. Solidarités : le risque du chaos
Également à l’œuvre sur le terrain afghan depuis 1980, l’association compte actuellement une quinzaine d’expatriés et 150 locaux engagés dans des programmes d’urgence, d’assainissement de l’eau potable et de relance agricole, à Kaboul, dans sa périphérie et dans plusieurs districts du Nord-Est. « Nous intervenons en dehors des "masterplans" publics, précise Alain Boinet, directeur général, et comme beaucoup d’ONG françaises, nous sommes pragmatiques et indépendants. Avec le retrait de l’ISAF, nous craignons que l’alliance actuellement au pouvoir à Kaboul ne vole en éclat ; l’impasse politique pourrait alors provoquer la reprise de la guerre civile. Nous pourrions nous retrouver isolés, comme lors du départ des Soviétiques, affrontés à la désintégration du pays, au risque de chaos intégral. D’ores et déjà, la situation de transition est très préoccupante. Alors que les conditions de sécurité continuent de se dégrader, nous sommes résolus à négocier avec toutes les factions, quelles qu’elles soient. Tout doit être tenté pour ne pas abandonner les Afghans et subvenir à leurs besoins vitaux. »
. La Chaîne de l’espoir : double peine
Non seulement le fonctionnement de l’hôpital créé en 2005 n’est pas remis en cause, mais le programme de construction d’une extension est maintenu, avec le coup d’envoi, le mois prochain, du chantier de la nouvelle aile. « Cependant, confie le président de l’association, le Dr Éric Cheysson, nous sommes bien conscients de l’évolution inquiétante de la situation, avec des risques croissants pour la sécurité des civils à Kaboul. L’an dernier, 10 personnes ont été massacrées au Noor Hospital, distant seulement d’une centaine de mètres de notre établissement. Personne ne sait si les négociations engagées entre le régime du président Karzaï et les talibans vont aboutir. Nous-mêmes, en raison de notre partenariat avec l’Aga Khan et l’université de Karachi (Pakistan), nous pouvons être contraints par certaines factions au départ. Le sauve-qui-peut humanitaire qui s’instaurerait représenterait pour les afghans une double peine dramatique. »
. Médecins du Monde : désengagement des bailleurs
MDM a lancé en avril 2006 une mission ciblée sur les usagers de drogues à Kaboul, dans ce pays qui fournit aujourd’hui 90 % de la production mondiale d’opium (6 900 tonnes en 2009) ; 3 expatriés et une trentaine de salariés locaux collaborent au centre de soins de Kaboul, où a été créé un centre national de formation des ONG afghanes. « Dans cet espace humanitaire atypique, notre programme arrivera à terme en 2012, explique son responsable, Olivier Maguet. Cela ne signifie pas que MDM quitte l’an prochain l’Afghanistan, d’autres programmes pourront être lancés sur les thématiques de la santé mentale, ou des prisons. Personnellement, j’ai constaté depuis 2001 à quel point la gabegie, l’incompétence et la corruption ont proliféré, en lien avec la présence militaire. Celle-ci aura été particulièrement contre-productive en ce qui concerne la question des drogues. Depuis le décrochage de 2006, nous observons l’accélération de la dégradation de la sécurité. À terme, elle risque d’entraîner le désengagement des bailleurs, alors que les pays occidentaux sont confrontés à la crise économique. Dans ce contexte, il va devenir de plus en plus difficile d’effectuer un vrai travail humanitaire. »
. Médecins sans frontières : repositionner d’urgence l’action humanitaire
MSF s’était retiré d’Afghanistan après l’assassinat de ses 5 volontaires en 2004. « Depuis notre retour, indique Rony Brauman, ancien président, nous nous sommes positionnés rigoureusement à équidistance des différents belligérants, dans une neutralité opérationnelle. Beaucoup d’ONG cependant, sous prétexte de se démarquer des militaires, ont en réalité effectué le service après-vente de l’armée auprès des populations, en s’arrogeant une mission soi-disant civilisatrice dans leur sillage, au service, en fait, d’une catégorie de belligérants. Aujourd’hui, ces ONG réalisent que la situation va changer et elles s’apprêtent à servir un autre maître au pouvoir, alors qu’elles devraient cesser de se comporter en serviteurs. Aujourd’hui, aucun scénario ne peut être privilégié, mais il est urgent de repositionner au mieux la logique humanitaire, à la bonne distance des protagonistes. »
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