Préservation de la fertilité des ex-cancéreux

Les médecins ne sont pas assez sensibilisés

Publié le 25/02/2013
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Crédit photo : BSIP

L’ENJEU EST GRAND : le nombre de cancers augmente pour toutes les tranches d’âge, même les plus jeunes, et les pronostics s’améliorent, laissant les personnes aux prises avec des séquelles, dont les difficultés à procréer. Pour y répondre, plusieurs techniques de préservation de la fertilité sont disponibles, comme la conservation des spermatozoïdes (possible dès l’âge 12 ans), des ovocytes, des embryons (pour les couples) et du tissu testiculaire ou ovarien depuis 1995 - ce qui permet d’intervenir chez l’enfant.

Au niveau législatif, la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique*, révisée en 2011, entérine ces progrès techniques. Et le plan cancer 2009-2013 affiche dans ses objectifs la reconnaissance de plateformes régionales de cryobiologie associées aux centres d’études et de conservation du sperme (CECOS), et l’amélioration de la prise en charge des enfants et adolescents, grâce notamment à des consultations pluridisciplinaires.

Les hommes mieux que les femmes.

Le sujet reste néanmoins délicat. L’annonce d’un cancer n’apparaît pas toujours comme le moment propice pour aborder « l’après », les patients préfèrent parfois se concentrer sur les thérapeutiques immédiates contre la maladie, les questions de sexualité peuvent provoquer une gêne chez les adolescents et les médecins spécialisés en oncologie ne sont pas encore suffisamment sensibilisés aux problématiques de préservation de la fertilité. Sans compter que la toxicité des traitements du cancer est mal renseignée.

La principale critique de l’INCa et de l’agence de biomédecine porte sur l’inégalité de l’accès à la conservation des gamètes pour les femmes et les enfants, et la disparité des prises en charge selon les équipes. Au 31 décembre 2010, 40 000 patients masculins avaient des paillettes de spermatozoïdes congelés. Quelque 1 147 cycles d’assistance médicale à la procréation (AMP) étaient menés, et 219 enfants avaient vu le jour.

Les résultats sont bien moindres pour les femmes. Depuis 1995, 23 centres pratiquent des conservations de fragments ovariens. Au 31 décembre 2010, 1 296 adolescentes ou jeunes femmes exposées au risque d’infertilité avaient des tissus conservés.

Selon une étude suédoise sur la période 2003-2007, 80 % des patients masculins sont informés de l’impact de la chimiothérapie sur la fertilité ultérieure contre 48 % des patientes ; en ce qui concerne la préservation de la fertilité, les taux d’information descendent à 68 % pour les hommes et ... 2 % pour les femmes.

Défaut d’information.

Les agences n’hésitent pas à pointer du doigt les équipes, qui ne prennent pas systématiquement en compte les risques d’infertilité. « La révélation de l’infertilité se fait encore trop souvent au moment où précisément les patients souhaitent concevoir » peut-on lire.

Ainsi la moitié des patients n’aurait pas intégré cette notion lorsqu’ils signent leur consentement aux traitements. Seul un tiers des femmes aurait bénéficié d’une discussion avec l’équipe médicale sur le risque de la grossesse pendant ou après traitement.

Les cancérologues en particulier ne seraient pas assez mobilisés : en région PACA-Corse, une enquête réalisée auprès de 225 médecins participant aux réunions de concertation pluridisciplinaire montrait que 54 % d’entre eux n’avaient envoyé aucun patient en consultation d’oncofertilité au cours des 6 derniers mois et que 33 % d’entre eux manquaient eux-mêmes d’informations sur ce sujet.

L’INCa et l’Agence de biomédecine préconisent une politique systématique d’information des patients, notamment dans le cadre des équipes pluridisciplinaires où l’apport des psychologues est salué. Les agences insistent aussi sur la formation des médecins et la diffusion de bonnes pratiques.

Améliorer les structures spécialisées

Autre recommandation, le rapport prône l’amélioration de l’accès aux structures spécialisées et notamment aux plateformes de cryobiologie. « L’accès à ces structures avant de démarrer un traitement potentiellement stérilisant, quels que soient le lieu de prise en charge du cancer et les délais disponibles, est une exigence de qualité dans la prise en charge du cancer ».

Les experts suggèrent aussi de renforcer le fonctionnement en réseau, avec des circuits coordonnés entre chirurgiens, cancérologues, radiothérapeutes et les spécialistes de la reproduction, susceptibles d’agir dans l’urgence. Ils envisagent même une « permanence de soins » des biologistes de la reproduction.

Enfin, le suivi des patients après la fin des traitements est indispensable, non seulement pour parler de l’« après », mais aussi pour enrichir la recherche, insuffisante encore sur la toxicité des traitements, et les méthodes de restauration de la fertilité. Les modèles des cohortes et des registres seraient à cette fin très intéressants.

*Elle prévoit que toute personne exposée à une prise en charge médicale risquant d’altérer sa fertilité peut bénéficier d’une préservation des gamètes et des tissus germinaux.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9221