Sarkozy tente de faire le ménage

Le pouvoir s’enfonce

Publié le 05/11/2009
Article réservé aux abonnés
1276111768F_600x_101698_IMG_22257_1257482751584.jpg

1276111768F_600x_101698_IMG_22257_1257482751584.jpg
Crédit photo : AFP

LE PRÉSIDENT est un homme à poigne, on s’en doutait. Son défaut est qu’il se contente de lever les obstacles que ses amis dressent devant lui sans les écouter et sans se demander si par hasard ils n’auraient pas raison. Il ira donc jusqu’au bout : la suppression de la taxe professionnelle sera adoptée et les collectivités locales risquent d’être ruinées. Est-ce de la bonne politique ? D’autant que, dans une démarche similaire, 60 élus de la majorité se sont prononcés lundi, dans une tribune publiée par « le Monde », pour un grand emprunt de 50 à 100 milliards alors que les deux hommes chargés d’en définir les modalités et l’usage, les deux anciens Premiers ministres que sont Alain Juppé et Michel Rocard, disent que le montant de l’emprunt ne saurait dépasser la trentaine de milliards. Cette fois, d’où la manœuvre vient-elle ? De Henri Guaino, le conseiller très spécial du président, celui-là même qui a suggéré au président l’idée du grand emprunt.

SARKOZY EXERCE SON AUTORITÉ AU SEIN D’UN IMMENSE DÉSORDRE

Fillon contre-attaque.

Ce qui a conduit le Premier ministre, François Fillon, furieux une fois de plus mais cette fois décidé à s’exprimer, à rappeler que M. Guaino ne fait pas partie de l’exécutif et que seul le gouvernement peut se prononcer sur l’enveloppe de l’emprunt. M. Fillon, décidément en verve, s’en est pris aussi à Rama Yade, secrétaire d’État aux Sports, mécontente de l’adoption d’un amendement qui prive les grands sportifs d’une’exonération fiscale. Le Premier ministre a sèchement rappelé à Mme Yade qu’elle avait un ministre de tutelle, en l’occurrence Roselyne Bachelot, à laquelle elle devait obéissance et discipline. Bien qu’il soit dangereux de s’attaquer à une secrétaire d’État qui bénéficie d’une large popularité, M. Fillon est excédé par un comportement diamétralement opposé à celui du gouvernement. Quand elle était aux Droits de l’homme, secrétariat d’État supprimé à la demande Bernard Kouchner, Rama Yade expliquait qu’elle faisait ce pour quoi elle avait été désignée. Elle a fâché Nicolas Sarkozy quand elle a refusé de se présenter aux élections municipales, et elle lui a envoyé des chocolats pour se rabibocher avec lui. Il n’a pas eu le courage de la larguer, comme il l’a fait avec Rachida Dati, mais aux Sports comme ailleurs, Mme Yade continue à tenir des propos discordants, comme si elle s’opposait au gouvernement auquel elle appartient. Cela ne la rend pas moins sympathique mais justifie partiellement les attaques auxquelles Nadine Morano, secrétaire d’État à la Famille et à la Solidarité, s’est livrée contre elle avec d’autant plus de vigueur que Rama Yade refuse un poste éligible aux électionales avec la même obstination que pour les municipales.

Tout cela montre que, aidé par ses amis inconditionnels, comme Nadine Morano, Xavier Bertrand ou Frédéric Lefebvre, Nicolas Sarkozy tente d’imposer sa domination à la majorité. Mais il le fait de manière sélective. Par exemple, on imagine que François Fillon, en reprenant du poil de la bête et en s’en prenant à l’un de ses conseillers les plus proches, ne lui fait pas plaisir. On dirait que toutes ces querelles internes n’ont qu’une importance relative si on ne voyait que, au lieu de s’attaquer aux dossiers de fond qui préoccupent l’ensemble de la nation, les divers éléments qui composent une majorité disparate se lancent dans des escarmouches purement personnelles, au vu du grand public et sans beaucoup de discrétion ; et l’algarade lancée mardi par François Fillon n’aurait de sens que si, en définitive, elle s’adressait à M. Sarkozy, dont la gouvernance, à la fois autoritaire et chaotique, devient une source d’inquiétude.

Excès de confiance en soi.

Le président de la République n’a pas prévu ce nouvel épisode qui témoigne de la fragilité de ses troupes. Il estime avoir gagné les élections européennes (c’est vrai) et il pensait faire de cette victoire un tremplin vers les régionales. Il a donc sombré dans son travers le plus fréquent : une confiance en lui-même que plus rien n’entame, un triomphalisme enfantin, la certitude qu’il peut tout se permettre. La cascade d’affaires, celle où l’image de son ministre de la Culture s’est dégradée, celle de son fameux lapsus dans le procès Clearstream, et la perte de popularité du chef de l’État ont réduit à néant l’avantage tiré des européennes. À ce tableau négatif s’ajoutent une suppression de la taxe professionnelle extrêmement mal préparée, une réforme des collectivités territoriales contestée, des réactions fiévreuses (comme l’idée inapplicable de Brice Hortefeux de décréter un couvre-feu pour les jeunes) à une insécurité croissante, l’absence totale de coordination entre les actions et surtout les paroles du gouvernement (le ministre du Budget, Éric Wœrth, est tout supris que M. Guaino fixe le montant de l’emprunt), plusieurs initiatives qui sont autant d’atteintes aux libertés, comme les fichiers adoptés par décret sans qu’aucun élu ne soit consulté ou comme la suppression prochaine du juge d’instruction au moment où c’est une juge d’instruction qui renvoie Jacques Chirac en correctionnelle, affirmant ainsi de manière éclatante l’indépendance de la justice. Bref, qu’est-ce que tout cela révèle ? Que l’autoritarisme de M. Sarkozy s’affirme au sein d’un immense désordre. Il maîtrise les hommes, mais pas des faits très révélateurs des graves insuffisances de sa politique. On ne sait pas si Rama Yade mérite ou non d’être « virée », mais on est sûr que l’Élysée, Matignon et les porte-parole qui prêchent pour le pouvoir doivent enfin accorder leurs violons autour d’un programme précis, soigné, minutieux et définitif.

RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr