SI LA PROPOSITION de loi fait débat sur l’interdiction de l’achat d’acte sexuel, les mesures sociales et sanitaires suggérées tendent à l’unanimité. Oui, il faut protéger ces femmes dont le taux de mortalité dépasse de 40 % la moyenne nationale. Oui, il faut les soutenir. Elles qui subissent, pour 71 % d’entre elles, violences physiques et dommages corporels dans le cadre de leur exercice. Et non, la vente d’actes sexuels n’est pas un choix, clament les experts à l’unisson. « La majorité des anciennes prostituées ont été victimes d’inceste dans l’enfance », souligne le Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée en psycho-traumatologie et victimologie*, pointant du doigt la vulnérabilité initiale de cette population. Parce qu’elles sollicitent peu d’aides - par crainte des représailles, par honte, ou par dissociation - les prostituées méritent une attention toute particulière. Une attention qui doit passer par deux piliers de la prévention : l’information et l’accompagnement.
Anesthésie émotionnelle.
Tel un patient qui ne souhaite soigner son diabète, les prostituées peinent à s’approprier les soins. À moins qu’une information précise leur soit donnée : « Si on leur donne des infos précises, ça leur donne envie de se prendre en charge », avance Muriel Salmona, tambour battant. Le tout dans un dispositif rassurant à même de contrebalancer la menace d’un proxénète ou la « honte infernale » qui les envahit. « Elles sont dans une terreur totale », souligne le Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol. En permanence confrontées à un danger, les prostituées développent des stratégies de survie et des conduites dissociatives. Entre autres : la consommation d’alcool et de toxiques. Des conduites qui leur permettent de se déconnecter de la réalité, et plus spécifiquement de leur corps. À tel point que s’opère une anesthésie émotionnelle, qui coupe la victime « non seulement de ses émotions spontanées, mais également de ses sensations corporelles », explique le Dr Salmona. Baissant le seuil de tolérance de la douleur et de la perception du danger : « Quand on est anesthésié, on se fait plus mal ». C’est donc dans une indifférence totale et une anosognosie des troubles, que les problèmes physiques et comportements à risques peuvent évoluer. Celles qui parviennent à sortir du circuit de la prostitution doivent ainsi composer avec un état de santé médiocre : dépendance aux toxiques, pathologies gynécologiques, infections urinaires, maladies sexuellement transmissibles, etc.
Idées suicidaires.
Selon une étude de 2003, 60 % à 80 % des personnes prostituées souffrent de troubles psychosomatiques sévères, chiffre semblable à celui des personnes ayant subi des actes de torture, aux prisonniers politiques et anciens combattants. « Elles sont très abîmées », déplore Emmanuelle Piet. Cette situation de grande vulnérabilité physique est vécue de façon d’autant plus intense que l’état de dissociation et d’anesthésie affective disparaît à mesure que la menace s’atténue. Les anciennes prostituées prennent ainsi douloureusement conscience de leur expérience traumatique. « Et là ça peut être tellement insupportable, qu’elles peuvent avoir des idées suicidaires », prévient la psychiatre. D’autant plus qu’elles ont « une image extrêmement négative d’elles-mêmes », sensibilise le Dr Emmanuelle Piet. Autre risque : replonger dans la prostitution. Car toute personne qui a subi des violences est à risque de répéter cette expérience.
Formation des professionnels.
Avant d’espérer des soins, une étape : celle de trouver un lieu d’accueil sécurisé. Une mesure incluse dans la proposition de loi, et considérée comme le garant d’un accompagnement soutenu et prolongé. Car sur le plan des soins, il y a du pain sur la planche : refaire les dents, soigner les infections, soulager les douleurs pelviennes… et traiter la mémoire traumatique : « On peut soigner les conduites à risque en arrêtant la mémoire traumatique, c’est-à-dire en mettant le pied dans leur propre histoire », explique la spécialiste en victimologie. Tout en précisant que la prise en charge du syndrome post-traumatique doit précéder celle des addictions, sans quoi le risque de rechute reste important. À cette réflexion sur les soins des prostituées, le Dr Piet ajoute : « Il faut prendre un temps pour leur permettre de rêver. »
*Muriel Salmona est également présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie.
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