L’INSPECTION générale des affaires sociales (IGAS), dans son rapport sur l’affaire Mediator, ne se contente pas de pointer les défaillances de la pharmacovigilance en France. L’échelon européen se trouve aussi dans sa ligne de mire. De 1998 à 2003, l’IGAS parle ni plus ni moins d’un « enlisement européen ». « Les alertes répétées sur le mésusage du benfluorex ne seront pas prises en compte », observe la mission IGAS, pour qui « le retrait du Mediator aurait dû être décidé dès 1999 ».
C’est l’Italie qui, la première, s’est mobilisée. Dès 1998, l’agence italienne du médicament exprime ses doutes sur la toxicité du benfluorex. Elle alerte l’Agence européenne, et lui fournit plusieurs rapports très documentés. En 2003, l’agence espagnole du médicament informe l’Agence européenne d’un cas de valvulopathie cardiaque. Servier décide de retirer le Mediator des marchés italien et espagnol, mais le maintient en France. Les réunions se succèdent à Londres, au siège de l’Agence européenne du médicament chargée de surveiller l’innocuité des médicaments. Pourtant, rien ne se passe. L’agence a-t-elle pêché par immobilisme ? Ne devait-elle lancer l’alerte à tous les États membres ?
Le Pr Philippe Juvin, anesthésiste et eurodéputé (PPE), veut tirer l’affaire au clair. Il a écrit à l’agence européenne du médicament pour demander une explication. La réponse du directeur exécutif par intérim, Andreas Pott, ne l’a pas convaincu. « Il y a une contradiction sur la chronologie des faits, relève Philippe Juvin. Andreas Pott affirme que l’Agence européenne n’a reçu les premiers signalements sur la toxicité du benfluorex qu’en novembre 2009. C’est faux. L’agence était au courant depuis 1998 ». Les doutes sont tels, d’ailleurs, que le comité de pharmacovigilance européen finit par commander une étude à Servier. Mais le compte rendu se fera par oral, en janvier 2000, comme l’indique Andreas Pott. Puis l’agence sombrera dans le silence pendant près d’une décennie. Incompréhensible, pour le parlementaire : « Pourquoi l’Agence européenne ne s’est-elle pas inquiétée de l’absence de réponse écrite de Servier ? Pourquoi n’a-t-elle pas lancé d’alerte alors qu’elle savait qu’il se passait quelque chose ? », questionne-t-il.
Responsabilité morale.
Le directeur par intérim se retranche derrière une directive européenne, qui prévoit que l’agence lance une alerte après le retrait ou la suspension d’un médicament par un État membre. Or dans le cas présent, c’est le laboratoire lui-même qui a retiré le benfluorex de la vente en Italie et en Espagne. « C’est un peu comme la caserne qui sait qu’il y a le feu, mais qui n’interviendrait pas car elle n’a pas été alertée par les autorités, fustige Philippe Juvin. À défaut d’avoir une responsabilité politique, l’Agence européenne du médicament a une responsabilité morale ». L’eurodéputé souhaite l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour éclaircir les zones d’ombre. Il lui faut pour cela la signature du tiers des eurodéputés. Philippe Juvin espère convaincre le PPE, son parti, que l’affaire n’est pas strictement hexagonale. « C’est le témoin d’un dysfonctionnement européen, dit-il. Je pense qu’il faut franchir un pas supplémentaire, et rendre la pharmacovigilance et l’ensemble des AMM européennes – alors qu’aujourd’hui, le passage européen n’est obligatoire que pour les anticancéreux, les antidiabétiques et les traitements contre le HIV. Élargir le cercle des experts à toute l’Europe renforcerait leur indépendance. »
Une autre eurodéputée réclame des comptes à l’Agence européenne du médicament. Michèle Rivasi (Europe écologie-les Verts) veut saisir l’office européen de lutte anti-fraude, l’équivalent de l’IGAS à Bruxelles, car elle suspecte des dysfonctionnements et des conflits d’intérêt au niveau européen. « L’attitude de l’Agence européenne s’explique-t-elle parce que certaines personnes y occupant un poste clé travaillent aussi à l’AFSSAPS ? », interroge-t-elle. Michèle Rivasi a déjà mené un bras de fer avec l’Agence européenne du médicament au sujet du vaccin contre la grippe H1N1, autorisé en un temps record. « Je me heurte aujourd’hui au blocage du parti socialiste et du PPE qui refusent que les déclarations d’intérêt des experts soient contrôlées, regrette-t-elle. L’affaire Mediator repose la question des conflits d’intérêt. Le directeur de l’Agence européenne, parti il y a deux mois, est maintenant consultant dans l’industrie pharmaceutique : cela montre l’existence de collusions inacceptables. »
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