Comment concilier l'accès à une vie affective et sexuelle malgré des handicaps parfois très lourds et le respect de la non-marchandisation du corps ? Les droits des personnes handicapées et la pénalisation de la prostitution ? Tel est le délicat équilibre que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) recherche dans sa réponse à la saisine de Sophie Cluzel début février 2020. Remise le 13 juillet 2021, cette réponse, sous forme de lettre, n'est publiée que ce 6 octobre.
À l'occasion de la Conférence nationale du handicap de l'an passé, la ministre chargée des personnes handicapées avait en effet demandé au CCNE de réexaminer la possibilité d'une assistance sexuelle, estimant que la « société française avait mûri », notamment depuis 2012 et un précédent avis (très réservé) du CCNE. « Je suis très favorable à ce qu'on puisse accompagner la vie intime, affective et sexuelle » des personnes handicapées, avait-elle déclaré. Nombreuses sont les associations (notamment le Collectif Handicaps et Sexualités Ose – CH(s)OSE – qui réunit l'AFM Téléthon, APF France handicap, GIHP) qui plaident pour la création de services d'accompagnement à la vie sexuelle. Ce qui supposerait de faire évoluer le cadre législatif actuel, qui prévoit la pénalisation de toute personne sollicitant des relations sexuelles ou les facilitant (proxénétisme).
Pour des expérimentations dans l'accompagnement
Dans cette nouvelle analyse, le CCNE se montre favorable à des expérimentations en faveur de l'« accompagnement aux gestes du corps et de l'intimité », dans le cadre législatif actuel, par des professionnels de la santé et du social formés et volontaires. Ces professionnels pourraient intervenir à domicile ou dans les établissements médico-sociaux et leur formation et exercice devraient être réglementés au niveau national. En revanche, leur activité ne devrait pas être couverte par le droit à la compensation du handicap (car il n'est pas un soin, selon le CCNE) ; et l'expérimentation ne devrait pas inclure des robots, au risque de véhiculer des images sexistes et d'aggraver l'isolement social.
Dans la même perspective, le CCNE préconise de s'appuyer davantage sur les centres ressources régionaux sur la vie intime, affective et sexuelle, pour diffuser les initiatives intéressantes, à domicile et en établissement. Un centre de ressources national pourrait cordonner l'ensemble des acteurs et contribuer à la sensibilisation dès l'enfance.
Attachement aux principes éthiques du cadre légal actuel
Mais pour ce qui est de l'aide active à la sexualité (concrètement, la possibilité d'avoir des relations sexuelles), le comité renvoie la balle au politique, tout en exprimant des réserves : « cela nécessiterait de modifier le cadre légal relatif à la prostitution et de s'affranchir de principes éthiques qui s'y réfèrent (dignité humaine, indisponibilité du corps), auxquels le CCNE est particulièrement attaché », lit-on.
Le CCNE justifie sa position à partir de deux distinctions conceptuelles. D'abord, la différence entre le droit d'accès à la vie affective et sexuelle et le droit à la vie sexuelle. Si l'accès à la vie affective et sexuelle contribue à la santé sexuelle, elle-même partie intégrante de la santé selon l'Organisation mondiale de la santé, « un droit à la vie sexuelle induirait un droit-créance, c'est-à-dire l'obligation pour l'État d'assurer l'accomplissement d'une vie sexuelle », explicite le CCNE (reprenant l'argumentation de 2012). Ce qui est « difficilement concevable », note-t-il.
Il opère ensuite une seconde distinction entre aide sexuelle (avec implication du corps de l'aidant, ce qui « impose » la vigilance, selon le CCNE) et accompagnement à la vie sexuelle et affective.
Sensibiliser les établissements et service à domicile
Par ailleurs, le CCNE émet toute une série de recommandations destinées à favoriser le droit d'accès à la vie affective, sexuelle et intime dans les établissements et services d'aide à domicile, en reconnaissant que le fonctionnement actuel des structures entrave les personnes dans leurs relations humaines. Dans le champ de la sexualité, « le recours à des traitements médicamenteux pose des questions d'éthique graves et inacceptables au regard des valeurs humanistes portées par notre société », lit-on.
Toute structure devrait donc inscrire dans son projet une politique favorisant ces droits et impulser une réflexion collective sur l'accompagnement des personnes, former les professionnels, proposer de l'éducation à la vie affective aux résidents, recueillir leurs attentes, organiser des actions de sensibilisation auprès des familles, mener une réflexion éthique…
Le CCNE en appelle enfin à la responsabilité collective et à la solidarité au nom du handicap, ne serait-ce que pour éviter toute stigmatisation des personnes handicapées dans l'accès à une vie affective et intime.
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